Rôle et place de la ruse de guerre dans l'art militaire

 par le Général d’armée V.N. LOBOV

Le général d’armée Vladimir Nikolaïevich Lobov est né en 1935 d’une famille paysanne originaire de Bachkirie. Sa carrière d’artilleur a été brillante et l’a amené rapidement aux plus hauts postes de commandement et d’état-major. Il a commandé l’Académie militaire Frounze et occupé les postes de chef d’état-major des Forces du Pacte de Varsovie et, d’août à septembre 1991, celui de chef de l’État-major général des Forces armées soviétiques. Penseur militaire et théoricien de grande renommée, auteur de plusieurs manuels de tactique et d’art militaire, il est l’un des inspirateurs des réformes militaires en cours. Accordant un rôle important à l’emploi de la ruse dans les opérations, il lui a consacré un livre récent (1992) : La ruse de guerre. Le présent article est un condensé de cet ouvrage. J.L.

L’histoire des guerres témoigne de la très grande importance que les stratèges et les chefs militaires de tous les temps ont accordé à la ruse de guerre. D’éminents stratèges ont vaincu parce qu’ils ne considéraient pas la force seule comme facteur déterminant du succès. La force en soi ne détermine pas la nature de la lutte armée. Imposer sa volonté, obtenir la victoire avec des forces inférieures à celles de l’adversaire n’est possible que lorsque l’on utilise avec habileté et esprit inventif toutes les acquisitions de l’art militaire, lorsque l’on sait cacher à l’adversaire les procédés et les moyens nouveaux de lutte armée et lorsque celui-ci est induit en erreur sur l’existence des forces, leurs intentions et leurs préparatifs.

L’origine de la ruse de guerre remonte loin dans le passé. Ses premiers germes se sont, vraisemblablement, formés dés les sociétés primitives. Dès cette époque, on montait des embuscades, on utilisait des pièges, des moyens de camouflage, etc. pour la chasse aux bêtes sauvages.

On trouve la trace de l’emploi de la ruse de guerre dans l’art militaire de nombreux peuples. Les grands stratèges et les penseurs militaires ont essayé de la comprendre et d’en définir les règles générales.

Dans l’antiquité, le penseur Djammapada (Ve siècle avant notre ère) donnait l’évaluation suivante de la ruse à la guerre : "Tout mal que l’on fait à son ennemi peut encore être amplifié si la manœuvre est menée avec ruse".

L’historien grec Thucydide (460-400 avant notre ère) écrivait que : "le meilleur chef militaire est celui qui est capable d’utiliser la ruse de guerre".

Le rhéteur et juriste romain Paulien (IIe siècle) a décrit dans son ouvrage Les ruses de guerre jusqu’à 900 exemples de ce qu’il appelait stratagèmes. Le tacticien romain Frontin a également décrit 563 stratagèmes dans un ouvrage en quatre tomes. L’un des interprètes des idées de l’ancienne Rome en matière d’art militaire, au temps de la chute de l’empire, a été Végèce (Ve siècle). Parmi les pensées qu’il a exprimées, on rencontre celle-ci : "il n’y a rien de mieux que de venir0à bout de son adversaire par la ruse..." 1

Les œuvres de la Chine antique occupent une place particulière dans l’art militaire, et, avant tout, Les sept livres qui se présentent comme une sélection de traités militaires, dont le principal est celui de Sun-Zu. C’est sous leur influence que s’est constituée par la suite toute la littérature militaire théorique de la Chine antique. L’étude de ces traités est restée obligatoire dans la Chine et le Japon des XIXe et XXe siècles pour l’acquisition d’une formation militaire supérieure.

Le traité de Sun-Zu présente une valeur d’autant plus grande que les idées de l’auteur, l’un des premiers théoriciens militaires connus à s’être penché sur le problème de la ruse de guerre, sont parvenues jusqu’à nous sous la forme d’un système plus ou moins achevé2. Citons l’une des nombreuses sentences de Sun-Zu : "Efforcez-vous de vaincre par la ruse, -sans livrer combat. Les grands stratèges remportent le succès en découvrant le jeu caché de leur adversaire, en déjouant ses plans, en semant la discorde dans ses troupes, en le maintenant en état permanent d’agitation, en lui enlevant toute possibilité d’entreprendre quoi que ce soit d’avantageux et de recevoir des renforts... L’art du général doit consister à tenir l’adversaire dans une totale ignorance sur l’endroit choisi pour la bataille et à lui dissimuler les bases d’approvisionnement. S’il réussit cela et s’il sait cacher les moindres mesures qu’il prend, alors il ne se montrera pas seulement habile général, mais également homme sortant de l’ordinaire..."

L’illustre homme politique et philosophe de la Renaissance, Niccolo Machiavel (XVIe siècle), a accordé une grande importance à la ruse de guerre. Dans son livre sur l’art de la guerre, l’auteur, avec la sagacité qui lui est propre, définit les voies selon lesquelles cet art doit évoluer dans l’avenir, en évoquant à ce sujet le rôle de la ruse de guerre dans la lutte armée. La meilleure conception de manœuvre, écrivait-il, c’est celle qui est cachée à l’ennemi. "Si, pendant la bataille se produit un événement qui risque d’effrayer vos hommes, il est extrêmement important alors de savoir le cacher et même d’en tirer avantage".

F. Engels, étudiant l’histoire des guerres, s’est livré à une critique des chefs de guerre de la période féodale pour la raison qu’ils combattaient "sans aucun subterfuge, ni ruse de guerre" 3.

Au cours des études historiques faites depuis un siècle, on a tenté de comprendre de manière théorique l’essence de la ruse de guerre et de préciser son rôle et sa place dans l’art militaire. En témoignent, en particulier, les définitions parues dans les publications théoriques russes et dans les encyclopédies de cette époque.

Ainsi, dans l’Encyclopédie des sciences militaires et navales, éditée en Russie en 1885, on peut lire : "La ruse de guerre est une action au moyen de laquelle nous voulons induire en erreur l’adversaire sur nos manœuvres réelles… Les ruses de guerre peuvent être variées à l’infini, elles dépendent de l’esprit inventif des parties qui s’opposent" 4.

Dans le Dictionnaire encyclopédique de Brokhaus et Efron, on lit : "La ruse de guerre est employée lorsque l’on désire induire en erreur l’ennemi, d’une manière ou d’une autre, en lui dissimulant les intentions, les dispositifs et les actions véritables" 5.

Dans la Grande encyclopédie, recommandée aux établissements d’enseignement militaire en tant que texte officiel, il est dit : "La ruse de guerre est le moyen d’amener l’ennemi à se tromper sur les intentions réelles des troupes, leurs activités et leur état" 6.

Dans l’Encyclopédie militaire de 1911, il est précisé : "Par ruse de guerre on entend le fait d’amener par un moyen ou un autre l’ennemi à se méprendre, avec comme objectif d’utiliser cette erreur pour obtenir son propre sucés. La ruse, d’une façon générale, complète, affaiblit ou même paralyse la force et, par suite, constitue un élément de toute lutte, a fortiori de toute lutte armée. L’art militaire a toujours considéré la ruse de guerre comme un de ses éléments fondamentaux..." 7

En synthétisant les définitions précédentes, on peut ainsi mettre en évidence la finalité principale de la "ruse de guerre" : cacher la vérité, imposer à l’ennemi des représentations erronées de celle-ci et, par là-même, créer les conditions favorables à l’obtention de la victoire avec le minimum de perte en hommes, en moyens et en temps.

En partant de l’expérience historique et du développement de la science militaire, il convient de comprendre "la ruse de guerre dans l’art militaire" comme étant "la théorie et la pratique de la dissimulation et de la déception.

Compte tenu de cette définition, on peut donc considérer deux formes fondamentales de ruse de guerre : la dissimulation et la déception.

LA DISSIMULATION

Au sein du concept général de la ruse de guerre, la dissimulation peut être définie comme l’ensemble des mesures destinées à éliminer ou estomper les indices qui caractérisent l’existence, l’état, les activités opérationnelles et logistiques des forces. L’objectif recherché par ces mesures est de compliquer, voire d’exclure la découverte et l’identification des forces, de leur système de sûreté, de leur direction et de leurs modes d’action — et, par là-même, d’assurer leur protection face aux moyens de destruction adverses, de conserver leur capacité opérationnelle et de créer les conditions nécessaires à leur engagement par surprise. On peut citer comme procédés permettant de réaliser la dissimulation : la conservation du secret des intentions, des décisions et des plans ; une grande vigilance ; le camouflage méticuleux des troupes et des matériels ; l’observation rigoureuse de la discipline de la dissimulation.

La conservation du secret des informations qui ne sont pas destinées à la divulgation consiste à éliminer ou limiter les canaux par lesquels peut se produire une fuite et à prendre les mesures pour prévenir ce coulage. Elle est étroitement liée à la vigilance qui se comprend comme un sentiment aigu de responsabilité de la part des militaires, chacun en particulier et collectivement, vis à vis de la conservation du secret des données dont ils disposent et vis à vis des canaux par lesquels peut se produire la fuite des informations.

Le camouflage est l’un des principaux moyens permettant de réaliser la dissimulation. Il consiste à éliminer ou affaiblir les indices concernant la présence et le déploiement d’un objectif déterminé, ainsi que les types de matériels, d’armements et d’unités qu’il comprend, en utilisant des dispositifs spéciaux ou des moyens naturels de camouflage.

Le camouflage des unités, de leurs objectifs et de leur activité peut être réalisé par différents procédés. Les principaux d’entre eux sont : l’utilisation des qualités favorables à la protection offertes par le terrain et ses abris naturels, les conditions météorologiques, la période de l’année, l’heure du jour ; l’emploi des masques artificiels et des lots de matériel de camouflage en dotations ; la réduction des manifestations optiques, calorifiques, acoustiques et radioélectriques au moyen d’aérosols, d’écrans et de constructions isolantes, ainsi que de champs radioélectriques et sonores spécialement créés.

Le camouflage se répartit, on le sait, aux trois niveaux stratégique, opératif et tactique. Leurs procédés sont parfaitement élaborés. Arrêtons-nous au point particulier et essentiel qu’est la relation entre la ruse de guerre et le camouflage de niveau opératif8. Il existe là une certaine confusion. On ne doit pas ramener la ruse de guerre uniquement aux mesures de camouflage opératif, comme on a tenté de le faire ici et là jusqu’à une époque récente. La ruse de guerre est l’une des composantes fondamentales de l’art militaire dans son ensemble. La conception de la manœuvre et la décision en sont imprégnées aussi bien au stade de la préparation des opérations qu’à celui de l’exécution.

Compte tenu des possibilités croissantes des moyens de reconnaissance, de l’apparition de types de matériels qualitativement nouveaux comme de nouveaux moyens de camouflage, le camouflage déborde du cadre des procédés contribuant à la sûreté pour devenir une véritable activité opérationnelle permanente en temps de paix comme en temps de guerre.

La discipline de la dissimulation consiste à respecter scrupuleusement toutes les mesures prescrites et à contrôler leur exécution.

L’opération de Mandchourie (9 août au 2 septembre 1945) peut servir d’exemple parfait.

La préparation de cette opération a été réalisée dans le secret le plus strict. Un nombre extrêmement réduit de personnes a participé à l’élaboration du plan de l’opération. La base de ce travail comprenait l’instruction personnelle pour le commandant en chef, les missions des grands subordonnés et leurs décisions.

Une grande attention a été accordée à la conservation du secret pour le regroupement stratégique des gros contingents de forces dirigés sur l’Extrême-Orient, ainsi que dans les mouvements réalisés entre les Fronts9 et les Armées. L’échange de correspondances et de conversations liées au transfert des troupes était interdit ; les stations de ravitaillement et d’entretien, les points de débarquement avaient reçu des numéros de code ; un grand nombre de trains dépassait les nœuds de chemin de fer sans marquer d’arrêt, l’entretien étant réalisé lors d’arrêts intermédiaires ; sur les secteurs frontaliers d’Extrême-Orient, on faisait passer des groupes de convois de troupes en profitant de l’obscurité de la nuit et sur le chemin de fer littoral, proche de la frontière, le débarquement lui-même des trains était effectué de nuit ; les troupes débarquées étaient immédiatement amenées dans les secteurs de concentration et soigneusement camouflées.

Tout au long de l’acheminement des trains, un grand travail fut effectué par les chefs et les états-majors auprès du personnel afin d’instruire celui-ci sur le problème de la conservation du secret d’état et du secret militaire. Dans les aide-mémoires préparés par l’état-major de la 39ème Armée à l’intention des soldats et sous-officiers, était souligné, par exemple, "qu’il suffit d’une parole lâchée par hasard, d’une phrase imprudente, d’un bavardage superflu ou de l’envie de se vanter de ses exploits devant des étrangers pour que le secret militaire soit découvert et devienne la proie des espions ennemis" 10.

Le regroupement, la concentration et le déploiement des troupes sur les positions de départ furent menés en respectant les exigences de la dissimulation. Tous les mouvements d’unités ne s’effectuèrent que de nuit. Tout le long des itinéraires qui pouvaient être observés à partir du territoire adverse furent installés des palissades verticales et des écrans recouvrant les routes. Durant le jour, les unités s’arrêtaient au repos dans les bois et les vallons. Dans les steppes de Mongolie et de Daouria, les chars, les véhicules et les pièces d’artillerie furent cachés dans des excavations spécialement creusées, et recouvertes d’écrans ou de bâches. Les zones de concentration des divisions et des régiments étaient réparties au fur et à mesure de leur arrivée sur un large front et une grande profondeur, assurant leur mise en place en temps voulu sur les positions d’attente et de débouché.

Des masques pour la plupart naturels (forêts, taillis, ravins, etc.) furent utilisés pour le camouflage dans les secteurs de concentration des 1er et 2e Fronts d’Extrême-Orient. En Transbaïkalie, où de telles possibilités n’existaient pas, des matériels de camouflage, soit de dotation, soit de circonstance, furent largement utilisés. Dans les unités du Front de Transbaïkalie, par exemple, on utilisa près de 400 000 mètres carrés de filets de camouflage, 64 000 filets individuels pour les fantassins, 2 000 "toits" pour les pièces d’artillerie et les chars11.

Tout mouvement dans les zones de départ étaient interdits ; on ne devait également ni couper du bois, ni allumer des feux. Des équipes avaient été tout spécialement créées pour faire observer les mesures de dissimulation. Des points de contrôle tenus par des officiers avaient été installés dans tous les Fronts.

Le maréchal de l’Union soviétique K.A. Meretskov, évoquant les préparatifs de l’opération de Mandchourie, a écrit : "Il aurait pu sembler que conserver secret le déploiement d’une armée de 1 500 000 hommes le long d’une frontière très étirée était chose impossible. Et pourtant nous sommes tombés presque partout par surprise sur les Japonais".

L’attaque des Japonais sur Pearl Harbor, qui entraîna la défaite de la flotte américaine du Pacifique, est l’un des exemples classiques de dissimulation. Ce succès a été remporté grâce à la plus stricte conservation du secret dans le contenu même de la conception et du plan de l’opération, ainsi que dans le moment et le lieu de l’application des coups. Dans ce but, le groupe des personnes appelées à élaborer les plans d’opérations avait été limité au maximum. Seuls l’amiral Yamamoto et un ou deux officiers connaissaient le plan d’attaque sur Pearl Harbor. Le chef d’état-major général de la Marine lui-même ne fut informé de ce plan qu’en octobre 1941.

Le mouvement de l’escadre de porte-avions fut effectué en observant un silence radio total à travers les eaux septentrionales de l’océan Pacifique, où le trafic maritime était le moins intense et où n’était menée aucune reconnaissance aérienne. Grâce à tout cela, les Japonais réussirent à s’approcher de l’île sans avoir été décelés et à porter leur attaque par surprise

Bien sûr, compte tenu des possibilités croissantes des moyens de reconnaissance modernes, il devient très difficile de dissimuler totalement les préparatifs des opérations importantes, mais cacher leur ampleur réelle et, en particulier, la finalité des mesures prises, la conception de manœuvre, le point d’application des efforts principaux et le moment choisi pour le début de l’action reste un objectif tout à fait accessible qui doit être au centre des préoccupations du commandement et des états-majors.

La déception

La déception est la forme principale de la ruse de guerre : elle consiste, en mettant en œuvre tout un ensemble de mesures, à imposer à l’adversaire une fausse représentation de la situation réelle, celle des des armes, de la sûreté et du soutien des forces amies ainsi que de la nature et du déroulement à venir des opérations. Cette fausse représentation est donnée principalement en attirant de façon préméditée l’attention de l’ennemi sur certains faits, renseignements et objectifs, tout en détournant son attention des projets et plans véritables, ainsi que des secteurs prévus pour les opérations à venir et des concentrations réelles des troupes et des matériels.

L’expérience des guerres montre que la déception de l’ennemi est obtenue par la désinformation, les démonstrations et l’imitation.

La désinformation est la diffusion préméditée d’informations ne correspondant pas à la réalité sur la composition, la situation, le dispositif, la disponibilité et la capacité opérationnelles des troupes amies, leur articulation, leur moyens d’action, les plans et les intentions du commandement, la destination des armements, des matériels et des objectifs.

Les démonstrations se présentent comme une comédie jouée à l’ennemi avec des unités et des moyens spécialement affectés et figurant des activités sur des directions (secteurs) de diversion dans le but d’attirer son attention sur celles-ci et de de la distraire des secteurs (directions) réels d’activité des forces amies.

L’imitation est la reproduction d’indices vraisemblables, propres à l’activité réelle des troupes et des objectifs, en installant de faux objectifs, en créant de faux groupements de forces, une fausse situation radio électronique, tout cela au moyen de maquettes d’armes et de matériels, de leurres, de cibles fictives et de faux ouvrages du génie.

Prenons en exemple les mesures prises pour décevoir l’ennemi lors des préparatifs de l’opération de Belgorod-Kharkov (3 au 28 août 1943) qui se révélèrent très efficaces. Le général d’armée N.F. Vatoutine, commandant le Front de Voronezh, réalisa avec succès l’imitation et la démonstration de préparatifs d’une action principale sur une fausse direction — l’aile droite du Front dans la zone de la 38e armée. Dans le secteur de Sudzhi étaient imités la concentration et les préparatifs d’attaque d’une armée inter-armes et d’une armée blindée. Étaient représentés l’arrivée dans ce secteur de divisions et de régiments en provenance des grands arrières, les activités de reconnaissance renforcée et de découverte, le mouvement des unités vers la ligne de contact, les échanges radio au moyen de faux centres de transmission. La désinformation était réalisée par la diffusion de faux bruits dans les unités et au sein de la population au sujet d’une forte concentration de troupes et de préparatifs d’attaque. Au total, la mission de déception de l’ennemi fut remplie avec succès.

Comme le montre l’expérience du combat, l’utilisation habile de toutes les formes de ruse de guerre permet de réaliser l’effet de surprise, enlève l’initiative à l’adversaire, le fait douter des plans préparés par lui, exerce sur lui une forte pression psychologique, le déconcerte et le panique. L’importance de ce handicap psychologique est impossible à mesurer mais elle peut être plusieurs fois supérieure aux dommages matériels causés par les armes de destruction.

La ruse utilisée par l’une des parties se heurte inévitablement à la ruse de l’autre partie. De la plus grande habileté de l’un des deux en matière de ruse dépendra l’issue du combat, des opérations, voire de la guerre.

La ruse de guerre apparaît donc comme l’une des conditions sine qua non du succès dans la conduite des guerres. Les problèmes se rapportant à cette catégorie de l’art militaire sont couramment discutés dans le cadre des symposiums et conférences spécialisées des théoriciens militaires occidentaux. L’abondante littérature spécialisée qui traite de ce thème témoigne de l’intérêt constant montré pour les questions liées à la ruse de guerre. Ainsi, A. Prize, auteur du livre Les instruments de la dissimulation, parle de la ruse comme d’"un facteur fondamental de la victoire", capable d’exercer une influence décisive sur l’issue de la guerre. D’après lui, on peut, grâce à une organisation habile du camouflage, éviter des pertes massives et réaliser la surprise. L’ouvrage de B.Valey, Déception, surprise et dissimulation à la guerre, donne une description des formes et des moyens de la ruse de guerre au niveau stratégique et opératif et le livre de V. Harris, Les moyens de la contre-déception à l’échelle stratégique, contient une analyse de l’expérience tirée de la deuxième guerre mondiale et des conflits coréen, vietnamien et israélo-arabes. On y trouve aussi un bilan des recherches effectuées sur le volume des ressources nécessaires pour réaliser l’action préventive permettant de porter le premier coup à l’adversaire. Les auteurs de plusieurs autres livres passent en revue les très nombreux procédés de ruse de guerre employés au niveau opératif et stratégique au cours de la deuxième guerre mondiale, ainsi que les méthodes de dissimulation des groupements de choc des forces terrestres et navales12.

D’après les spécialistes, aussi bien maintenant qu’à l’avenir, c’est avec l’aide de la ruse de guerre que seront créées les conditions favorables à la réussite dans la conduite des opérations et à l’obtention de la victoire. Cela est conditionné avant tout par le développement des possibilités de combat des forces et l’élévation du niveau de leur capacités opérationnelles. Ils estiment qu’aujourd’hui existent de grandes possibilités pour tromper et désorienter l’ennemi au moyen d’opérations de démonstrations à grande échelle mises au point à l’avance et de mesures de désinformation, utilisant un ensemble de méthodes et de moyens techniques divers. Cependant, il faut remarquer que la partie opposée, qui possède des moyens de reconnaissance hautement efficaces, est capable de compliquer substantiellement, voire de faire échouer l’emploi de la ruse de guerre. C’est pourquoi ce n’est pas par hasard si l’on souligne que tout chef doit prévoir les mesures destinées à interdire les activités de reconnaissance adverses.

En se fondant sur les documents tirés de la presse, l’approche de la majorité des théoriciens occidentaux dans leur interprétation des problèmes touchant à la ruse de guerre et à son rôle dans l’art militaire contemporain se caractérise ainsi :

Premièrement, elle est considérée comme l’ensemble complexe des mesures destinées à créer chez l’ennemi une représentation erronée ou, au minimum, un manque de précision en ce qui concerne les intentions réelles, le calendrier et l’ampleur des opérations.

Deuxièmement, la ruse de guerre est utilisée dans la plupart des cas pour réaliser la surprise ; ses éléments constituants sont la dissimulation des activités, l’emploi des moyens de camouflage, la déception, l’originalité de la conception de l’opération, et autres. Une ruse réussie assure la surprise, laquelle à son tour permet de prendre l’ennemi au dépourvu.

Les auteurs étrangers mettent l’accent sur l’emploi généralisé de la ruse au cours de la période initiale d’une guerre, avec pour objectif de porter le premier des coups à l’ennemi. Cependant, chez ces auteurs, la ruse de guerre n’apparaît pas comme partie intégrante de la conception de manœuvre. Les mesures permettant de la réaliser prennent place habituellement dans les annexes au plan d’opération, par exemple dans celle concernant la sécurité de l’opération envisagée. Elles sont prévues dans les règlements et instructions correspondantes. En outre, les chefs, les états-majors et les troupes doivent exploiter les occasions de toutes sortes et les erreurs de l’ennemi, ainsi que toutes les conditions favorables de terrain, de météo et d’heure du jour.

Dans les théories militaires actuelles, est affirmée l’importance croissante de la surprise, particulièrement dans la période initiale de la guerre. Cela est dû à l’attention accrue que les états-majors portent aux problèmes posés par la conduite de la guerre non nucléaire et par l’apparition de nouveaux moyens de lutte armée, dont les armes à grande précision. La condition préalable au succès dans la conduite d’une telle guerre devrait être, selon eux, l’existence de forces et de moyens qui, par leurs capacités de combat, surpasseraient les forces et moyens analogues du côté opposé.

L’importance de la ruse de guerre, à notre époque, est confirmée par l’expérience des guerres locales, dans lesquelles l’attaquant a accordé un rôle décisif à la surprise permettant de porter en premier les coups à l’adversaire.

Au cours de la guerre du Vietnam, des directives spéciales du commandement américain prévoyaient des opérations de démonstration et des mesures de désinformation, d’imitation et de camouflage. Certaines unités incitaient des compagnies et des régiments du Front national de libération du Sud-Vietnam à sortir de leurs bases relativement sûres et à attaquer des éléments américains ou saïgonais qui faisaient semblant de passer à la défensive. Pendant ce temps, d’autres unités des forces américaines et saïgonaises, déployées au préalable en secret, attaquaient les "patriotes".

On utilisait également un autre procédé, celui du "coup direct", dans lequel des unités exécutaient des démonstrations sur diverses directions, puis modifiaient brutalement le cours de leur déplacement, refermaient un cercle autour d’une zone définie et engageaient le combat avec les forces patriotiques. Possédant des informations sur les itinéraires de repli des "patriotes", le commandement américain lançait des commandos de troupes spéciales aéroportés sur ces zones.

On pratiquait également l’utilisation de nouveaux matériels et de nouvelles formes d’opérations qui avaient été, d’une manière adéquate, dissimulés aux "patriotes". C’est ainsi que furent préparées en secret et engagées brutalement des forces fluviales amphibies. Deux escadres se trouvaient déployées dans le delta du Mékong. Grâce à elles, les Américains pénétrèrent rapidement dans la profondeur de la jungle et interdirent aux forces patriotiques d’utiliser ce fleuve pour attaquer les arrières des troupes américaines et saïgonaises.

Pour la première fois, furent réalisées des opérations aéromobiles, dont l’essentiel consistait à projeter rapidement et en secret à l’endroit voulu des unités de fantassins et autres par hélicoptères. Les Américains utilisèrent contre les forces patriotiques une division aéromobile spécialement créée en 1965. A l’issue de l’opération aéromobile, le largage en secret d’équipes de diversion et de reconnaissance était prévu dans cette même zone d’opérations ; ces groupes, disposant de cinq jours de vivres, observaient de jour, se déplaçaient de nuit et montaient des embuscades. Lorsque les unités des forces patriotiques réintégraient la zone, les groupes de diversion les attaquaient.

Parmi les procédés tactiques de ruse de guerre utilisés pour protéger les troupes contre l’ennemi aérien, on peut citer l’emploi largement répandu de petites unités antiaériennes "nomades" et installées "en embuscade". Des moyens très mobiles, capables de tirer en mouvement ou lors de courts arrêts étaient utilisés pour cette mission. Ces petites unités de la Défense antiaérienne, changeant de position en secret après chaque tir, s’installaient sur de nouveaux emplacements à quelques kilomètres du précédent. Les positions utilisées pour les "embuscades" étaient choisies en tenant compte du relief du terrain sur les directions vraisemblables des raids de l’aviation ennemie. L’efficacité était accrue par la discrétion des unités choisies pour "l’embuscade", unités équipées de matériels de tous types.

Utilisant une ruse pour déjouer la défense antiaérienne lors des raids effectués sur le Nord-Vietnam, l’aviation américaine opérait à basse altitude. Les appareils débouchaient sur les objectifs à bombarder à une altitude de 50 à 100 mètres, avec une vitesse de 700 à 900 kilomètres-heure, afin d’apparaître par surprise dans le secteur de l’objectif et de frapper en un seul passage. Les frappes à partir de plusieurs directions ainsi que les attaques et les manœuvres de diversion étaient largement pratiquées.

Lors des opérations contre des objectifs protégés par des unités de missiles sol-air, des actions de démonstration étaient montées pour induire celles-ci en erreur. Des appareils de guerre électronique étaient envoyés dans la zone du bombardement pour créer des leurres actifs gênant le travail des stations de radars et de guidage. Des escadrilles de diversion de 2 à 4 avions étaient ensuite dirigées sur l’objectif à une altitude moyenne ; évitant la zone d’efficacité des missiles antiaériens, ils s’éloignaient en modifiant brutalement leur direction et leur altitude. A ce moment, les escadrilles d’attaque débouchaient sur l’objectif à partir d’autres directions à très basse altitude et effectuaient le bombardement. Cette méthode est, selon la presse étrangère, largement utilisée au cours des exercices.

Les leçons tirées des guerres israélo-arabes, en particulier de celle de 1967, ont confirmé la grande importance de la ruse de guerre. D’après les spécialistes, l’attaque surprise d’Israël, réalisée en utilisant toutes les formes et tous les procédés de ruse de guerre, a été le facteur décisif du succès.

La ruse de guerre employée par le commandement israélien était destinée à dissimuler les préparatifs de l’attaque contre les forces armées égyptiennes et à induire en erreur celles-ci. Ce but avait déjà été poursuivi lors de l’attaque contre la Syrie, préparée par Tel-Aviv un an environ avant le déclenchement de la guerre avec l’Égypte. Un mois avant le début de la guerre, la Knesset avait ouvertement accordé les pleins pouvoirs au gouvernement pour mener des opérations militaires contre la Syrie. La mobilisation et les mouvements de troupes vers la frontière syrienne avaient été entamés sous ce prétexte. Des communiqués commencèrent à circuler par les canaux diplomatiques dans différents pays, selon lesquels le gouvernement israélien avait fixé à la fin mai son attaque fulgurante contre la Syrie, avant de reporter ensuite les opérations contre le territoire égyptien, alors que selon le plan réel, tout était prévu pour se dérouler dans l’ordre inverse.

Pour tromper les Égyptiens, l’état-major général israélien réalisa de vastes opérations de démonstration faisant croire à une concentration d’importants groupements de forces en direction du sud, alors que l’effort principal était préparé, en fait, en direction du nord.

Des mesures de dissimulation furent adoptées. Ainsi, l’usage des stations radio pour la liaison entre les états-majors et les unités fut interdit au moment des déplacements vers les positions de départ et lors du passage à l’attaque. Tous les mouvements en direction des frontières des États arabes furent effectués uniquement de nuit et leur concentration sur les positions de départ soigneusement camouflée. Les préparatifs d’attaque de l’aviation israélienne furent particulièrement dissimulés. Le régime de silence radio fut strictement observé sur les aérodromes et dans les airs. Les vols d’appareils militaires à proximité des frontières arabes furent interdits, la portée des vols de reconnaissance réduite.

La désinformation, les fausses activités et l’imitation furent largement utilisées. On construisit de faux aérodromes et de fausses aires d’atterrissage, on fit des démonstrations et des imitations de concentration de troupes, en particulier blindées, on mit en œuvre des transmissions radio fictives. Deux jours avant le début de l’agression, des permissions de courte durés furent accordées au personnel dans un certain nombre de régiments de deuxième échelon. Toutes ces mesures permirent au commandement israélien de dissimuler les préparatifs de l’attaque et d’induire en erreur les dirigeants de l’Égypte et des autres pays arabes.

Les opérations commencèrent par une frappe de l’aviation israélienne contre les avions égyptiens stationnés sur les aérodromes, les postes de commandement, les sites radars et radios de la défense aérienne, les positions de missiles sol-air et les ponts sur le canal de Suez. Les avions s’envolaient selon un graphique soigneusement calculé, les faisant se manifester sur les objectifs tous au même instant. L’approche des objectifs était réalisée en silence radio total, à basse altitude, à partir de la mer Méditerranée et du delta du Nil, chaque appareil se dirigeant ensuite vers sa cible. Ces actions de dissimulation rendaient difficile leur détection par le système radar de la défense aérienne. Les itinéraires des avions israéliens, venant de la Méditerranée ou de la mer Rouge, avaient été choisis hors des zones à la portée des sites de missiles sol-air. En même temps qu’était lancée la première attaque aérienne, débutaient des actions de brouillage radio, qui paralysèrent totalement les centres techniques de la défense aérienne et assurèrent la dissimulation de l’approche des avions israéliens. Lorsque les appareils égyptiens décollèrent, des désinformateurs israéliens, connaissant les fréquences de travail et les codes de l’ennemi, s’introduisirent immédiatement dans les réseaux radio et induirent en erreur les postes de commandement à terre et les avions eux-mêmes en leur communiquant de faux ordres. On utilisa activement aussi des faux objectifs, des leurres, des missiles antiradars, ainsi que des unités terrestres de guerre électronique.

A l’aide de moyens radio électroniques, l’état-major israélien tenta de désorganiser le commandement des régiments et des divisions des forces terrestres des pays arabes en utilisant l’intrusion dans les réseaux radio et en donnant de faux ordres. D’après la presse étrangère, il réussit même parfois à prendre la direction d’ unités terrestres et aériennes égyptiennes. Ainsi, sur le front du Sinaï, au cours du mouvement de la 4ème division blindée égyptienne exécuté en vue de lancer une contre-attaque, les Israéliens transmirent par radio à cette unité l’ordre de replier ses régiments derrière le canal de Suez. L’ordre fut considéré comme réel et la contre-attaque n’eut pas lieu.

Le bâtiment de la Marine américaine Liberty, chargé de l’interception et du décodage des messages radio arabes, a plus d’une fois transmis, dans le but de troubler la direction des forces adverses, de faux ordres codés en langue arabe. Il en a été ainsi, par exemple, dans le secteur d’El-Arish, où les unités égyptiennes tentaient d’organiser la défensive. Obéissant à de faux ordres de repli qui, comme on le sut plus tard, provenaient du Liberty, elles abandonnèrent la ville sans résistance.

L’utilisation généralisée de toutes les formes et procédés de ruse de guerre au cours de la guerre israélo-arabe de 1967 entraîna de sérieuses conséquences pour les états arabes. L’expérience de cette guerre a confirmé l’extrême importance de la ruse de guerre. La revue Flugwelt a souligné le fait : "L’exemple de frappes aériennes préparées en secret et assenées par surprise apportera, sans aucun doute, des idées nouvelles dans la théorie de la conduite de la guerre aérienne. Il montre à quel point il est inutile de se baser seulement sur le décompte du nombre de ses avions, de ses chars et de ses combattants pour s’estimer un vainqueur potentiel".

Les Israéliens tentèrent également d’utiliser activement les ruses de guerre au cours de la guerre de 1973. Prenant en compte l’expérience du conflit précédent, le commandement israélien accorda une attention particulière aux questions de désinformation radio, d’imitation des stations radar et du camouflage radio. Cependant, comme l’a souligné la presse étrangère, les ruses israéliennes furent, cette fois-là, activement contrées par les mesures habiles prises par le commandement des forces arabes. En particulier, les écoutes radio furent organisées, la grande résistance au brouillage de leur système de défense aérienne fut obtenue grâce à l’utilisation, au sein de groupements mixtes, de plusieurs types de moyens radio électroniques de commandement des missiles guidés et de l’artillerie antiaérienne, travaillant sur des fréquences variées et dans différentes gammes d’ondes.

La ruse de guerre a également été largement employée au cours du conflit anglo-argentin de 1982 pour les Malouines. Le commandement britannique a mis en œuvre un ensemble de mesures de déception, dont l’exécution revenait tant aux états-majors qu’aux unités. Ainsi, d’après les données de la presse étrangère, la direction politico-militaire de Grande Bretagne a élaboré un plan spécial pour induire en erreur le commandement argentin. Ce plan fixait les missions de désinformation à remplir à travers les organes de presse, de radio et de télévision, une stricte censure militaire était instaurée dans un but de dissimulation et un régime de surveillance des échanges radio était prescrit. De plus, le commandement britannique laissait "fuir" un ordre indiquant un faux secteur pour le débarquement des commandos navals et aéroportés.

Les Anglais, mettant à profit l’impréparation des troupes argentines aux opérations nocturnes, exécutèrent le débarquement côtier et l’assaut du centre administratif de Port-Stanley uniquement de nuit. Les commandos furent débarqués par mer et par hélicoptères en deux échelons dans le secteur de San Carlos durant la nuit et dans des conditions météo difficiles (mer de force 3, vent de 10 m/seconde, température de 3 degrés, pluie, rafales de neige, brouillard).

Les troupes anglaises entreprirent également dans l’obscurité les opérations offensives actives pour s’emparer de têtes de pont sur les îles, l’aviation argentine étant inopérante de nuit et par mauvaise visibilité. Le débarquement des commandos fut réalisé dans les secteurs faiblement organisés pour la défense par les Argentins. Dans le but d’interdire la manœuvre des forces argentines, d’autres petits commandos de diversion furent mis à terre, puis ramenés par hélicoptères sur les navires, une fois leur mission remplie. Des équipes de reconnaissance avaient été larguées sur les arrières de l’ennemi 3 à 5 jours avant le débarquement des commandos. Ils précisèrent la situation, assurèrent le réglage des tirs de l’artillerie navale et le guidage de l’aviation.

Tout cela permit aux spécialistes militaires de tirer la conclusion que l’utilisation très habile de la ruse de guerre avait été l’une des raisons principales du succès de la Grande Bretagne dans les opérations militaires menées en Atlantique Sud.

Du côté argentin, quelques éléments de ruse de guerre furent seulement employés à l’occasion des opérations aériennes. Les chasseurs de production française Super-étendard, équipés de missiles antinavires "Exocet", exécutèrent l’approche des objectifs, selon la règle, par paire et à l’altitude minimum. Simultanément, une escadrille d’appareils en protection exécutait une manœuvre de diversion à altitude moyenne et attirait sur elle les chasseurs "Sea Harrier". Après avoir acquis l’objectif sur leur radar de bord, les équipages argentins lançaient leurs missiles "Exocet" à une distance de 20 à 40 kilomètres. Les coups au but réussis par ces missiles coulèrent le destroyer d’escadre Sheffield et le porte-conteneurs Atlantic Conveyor.

Comme cela est souligné dans la presse occidentale, des éléments de ruse militaire étaient contenus dans le plan des préparatifs et de la conduite de l’opération contre la Grenade. En particulier, le 17 octobre 1983, c’est à dire plus d’une semaine avant le débarquement direct des forces américaines, un groupe amphibie (5 bâtiments de débarquement dont le porte-hélicoptères Guam, avec à leur bord 1 800 fantassins) quitta la base américaine de Norfolk pour une direction annoncée, mais qui était fausse (le Proche-Orient) ; le 19 octobre, un autre groupe naval adapté à plusieurs fins et comprenant 11 bâtiments, plus des navires de soutien, sous le commandement du porte-avions Independence avec à son bord plus de 80 appareils quittait également la base ; le 21 octobre, les deux groupes reçurent l’ordre de se diriger sur l’île de la Grenade en silence radio total. Le 24 octobre, le groupe aéronaval se concentrait secrètement à 30 milles au nord-ouest de l’île, avec le groupe de débarquement 5 milles plus à l’est. Au moment de la prise de décision définitive par le président des États-Unis, la concentration secrète et toutes les mesures préparatoires étaient déjà achevées. La ruse de guerre a également été largement utilisée dans la zone du golfe Persique et son emploi mériterait une étude particulière.

Ainsi - les experts militaires le confirment tous - le succès à la guerre est obtenu, dans une mesure importante, grâce à l’utilisation complexe de toutes les formes et procédés de ruse militaire. Celle-ci recouvre aussi bien les raids d’avions effectués à basse altitude et à grande vitesse, que l’emploi des systèmes de brouillage actifs et passifs, l’utilisation d’hélicoptères pour le débarquement de commandos de l’infanterie de marine, le largage-surprise d’une importante unité aéroportée sur les grands arrières de l’ennemi, l’exécution d’opérations aéromobiles et une multitude d’autres procédés novateurs. Car le secret qui doit entourer l’élaboration des nouveaux moyens de lutte armée fait également partie des éléments de la ruse de guerre.

A l’époque actuelle, le rôle de la ruse de guerre dans l’art militaire est exceptionnellement grand. L’évolution du progrès scientifique et technique a entraîné la saturation des forces armées en moyens modernes de destruction massive, en armements à haute précision, en équipements radio électroniques et informatiques ; les adversaires éventuels vivent sous la menace de leurs énormes possibilités. Cela souligne une fois encore la nécessité d’étudier avec soin les possibilités d’emploi de la ruse de guerre afin de ne pas se trouver confronté à l’inattendu. Il est indispensable également d’analyser et d’exploiter l’expérience accumulée dans les guerres du passé en matière de ruse militaire, et, en particulier, l’expérience de la seconde guerre mondiale et des guerres locales.

Traduit du russe par Jacques Laurent

Notes:

1 A. Svechin, Evolution de l’Art militaire, Moscou, L., 1927, tome 1, p. 77.

2 L’activité de Sun-Zu, en tant que stratège, se situe à la fin du IVe/début du Ve siècle avant notre ère. Celle de Ou-Zi au Ve siècle avant notre ère.

3 F. Engels F, Œuvres militaires choisies, Moscou, 1941, tome 1, p. 211.

4 Encyclopédie des sciences militaires et navales, St Petersbourg, 1885, tome 2, p. 232.

5 F. Brokhaus et I. Efron, Dictionnaire encyclopédique, tome 12, p. 843.

6 Grande Encyclopédie, tome 5, p. 301.

7 Encyclopédie militaire, St Petersbourg, Ed. Sytin, tome 6, p. 480.

8 N.d.T. : niveau du Groupe d’armées et de l’Armée

9 Groupes d’armées dans la terminologie russe

10 Archives centrales du ministère de la défense de l’URSS, Fonds 210, o.371776, d.5, l.7.

11 Les troupes du Génie de l’Armée soviétique dans les principales opérations de la Grande guerre patriotique, Recueil d’articles, Moscou, Editions militaires, 1958, p. 296.

12 Ch. Krikshank, Ruse de guerre dans la deuxième guerre mondiale ; ouvrage collectif La ruse de guerre et la surprise stratégique et autres.