Quoiqu’il ait souvent écrit ou parlé des principes de la guerre, Napoléon ne les énumère nulle part. Il a dit une fois, en présence de Gouvion Saint-Cyr, que si, un jour, il en avait le temps, il ferait un livre où il démontrerait les principes de la guerre d’une manière si précise qu’ils seraient à la portée de tous les militaires et qu’on pourrait apprendre la guerre comme on apprend une science quelconque. Il ne le fit malheureusement pas ; cependant l’étude de ses campagnes révèle : 1° son invariable confiance dans l’offensive, 2° sa0foi dans la vitesse pour gagner du temps et effectuer des surprises stratégiques, 3° son insistance à concentrer des forces supérieures sur le champ de bataille, surtout à l’endroit de l’attaque décisive, 4° son dispositif de sûreté soigneusement étudié.
L’OFFENSIVE – Napoléon dit de l’offensive : « Je pense comme Frédéric, il faut toujours attaquer le premier », et : « C’est une très grande faute que de se laisser attaquer ». « Faites la guerre offensive, disait-il, comme Alexandre, Annibal, César, Gustave-Adolphe, Turenne, Eugène et Frédéric … Modelez-vous sur eux, c’est le seul moyen de devenir un grand capitaine et de surprendre les secrets de leur art ».
Mais, à la différence de Charles XII, ce n’était par un général téméraire. « Au commencement d’une campagne, il faut bien méditer si l’on doit ou non s’avancer, mais quand on a effectué l’offensive, il faut la soutenir jusqu’à la dernière extrémité ». D’ailleurs, « quand on veut envahir un pays, il ne faut pas craindre de livrer bataille et de chercher partout son ennemi pour le combattre ».
Bien qu’il n’ait pas inventé la poursuite, on peut dire qu’il l’a érigée en système, parce qu’il l’a liée à la bataille et en a fait une caractéristique essentielle de sa tactique. Le 17 octobre 1805, dans la campagne d’Ulm, il envoyait à Murat le message suivant : « Je vous félicite du succès que vous avez obtenu. Mais point de repos ; poursuivez l’ennemi l’épée dans les reins et coupez-lui toutes les communications ». Toutefois, comme une poursuite soutenue est une opération des plus difficiles, il n’en eut que quatre qui furent entièrement couronnées de succès : à Rivoli (1797), à Austerlitz (1805), à Iéna (1806) et à Eckmühl (1809).
LA MOBILITE – « La rapidité, écrit le commandant Colin, est un élément essentiel, primordial de la guerre napoléonienne », et, pour appuyer cette assertion, il cite ce que le comte de Dervieu en dit dans son ouvrage, La conception de la Victoire chez les Grands Généraux :
« Le mouvement est l’âme de la guerre napoléonienne, comme la bataille décisive en constitue le moyen. Bonaparte fait mouvoir ses troupes avec une rapidité calculée … Se multiplier par la vitesse … suppléer au nombre par la rapidité des marches, sont les maximes revenant sans cesse dans sa bouche. « Les marches, dit-il, c’est la guerre … l’aptitude à la guerre, c’est l’aptitude au mouvement … la victoire est aux armées qui manœuvrent ».
Deux maximes appuient ce raisonnement : « Dans l’art de la guerre, comme dans la mécanique, le temps est le grand élément entre le poids et la puissance », et « la perte de temps est irréparable à la guerre ; les raisons que l’on allègue sont toujours mauvaises, car les opérations ne manquent que par des retards ». Malheureusement pour lui, les retards de deux généraux sous ses ordres, l’un à Leipzig, l’autre à Ligny, contribuèrent à lui faire perdre la première de ces batailles et rendre la seconde indécise. En revanche, dans la campagne d’Ulm, ses hommes disaient : « L’empereur a trouvé une nouvelle méthode de faire la guerre ; il ne se sert que de nos jambes, et pas de nos baïonnettes ».
LA SURPRISE – Les attaques par surprise de Napoléon, autres que la concentration inattendue de ses forces sur le champ de bataille, furent rarement des attaques tactiques ; presque toutes furent des attaques stratégiques. Il en fut ainsi notamment aux batailles de Marengo (1800), d’Ulm (1805) et d’Iéna (1806), ainsi que dans la première phase de la campagne de Waterloo. « La stratégie, écrivait-il à Stein le 7 janvier 1814, est l’art de se servir du temps et de l’espace. Je suis moins économe du dernier que du premier. L’espace, nous pouvons le reconquérir, le temps perdu, jamais ».
LA CONCENTRATION – Pour la bataille décisive, Napoléon réduisait toutes les opérations subsidiaires pour pouvoir concentrer le plus grand nombre de troupes. Colin cite de lui : « Il faut tenir l’armée réunie et concentrer le plus de forces possibles sur le champ de bataille ».
Il y a ici une différence importante entre la signification de « réunir » et celle de « concentrer ». Napoléon explique la première dans une lettre qu’il écrivait au roi de Naples le 8 août 1806 : « L’art du placement des troupes est le grand art de la guerre. Placez toutes vos troupes de manière que, quelque chose que fasse l’ennemi, vous vous trouviez en peu de jours réunis ». La réunion est la répartition des corps de troupes ou des divisions dans la zone de bataille, tandis que la concentration a trait au champ de bataille. Le 14 février 1806, Napoléon écrivait à son frère Joseph : « Votre armée est trop disséminée. Elle doit toujours marcher de manière à pouvoir se réunir en un seul jour sur un champ de bataille ». La zone de rassemblement, qui groupe les colonnes en marche et en stationnement, se resserre, à mesure qu’on approche de l’ennemi, jusqu’au moment où la concentration de toutes les colonnes puisse s’effectuer en quelques heures. « Le premier principe de la guerre est qu’on ne doit livrer bataille qu’avec toutes les troupes qu’on peut réunir sur le champ d’opérations », et « le grand art du général consiste, se trouvant en réalité inférieur en nombre à l’ennemi, à être supérieur sur le champ de bataille ». Il s’ensuit donc que, si elle est correctement rassemblée, une force inférieure en nombre battra généralement une force supérieure qui ne l’est pas.
LA PROTECTION – Du 16 septembre 1793 où, capitaine sans fortune en non-activité, un pur accident lui donna le commandement de l’artillerie jacobine au siège de Toulon, au 18 juin 1815, où, empereur des Français dans les carrés de son 1er régiment des Grenadiers de la Garde, il quitta le champ de bataille de Waterloo, il ne livra pas une seule fois de bataille purement défensive.
Il est vrai qu’à Leipzig (1813), à la Rothière (1814) et à Arcis-sur-Aube (1814), il fut amené à combattre en restant sur la défensive. Il est aussi exact qu’à cause de son infériorité, pendant toute la campagne de 1814, il eut à assumer une stratégie défensive consistant cependant en une série de marches rapides et d’attaques furieuses. Néanmoins, malgré son entière préoccupation d’éviter la bataille conçue sur le plan défensif, toutes ses opérations offensives furent basées sur le principe de la sûreté. Il le définit comme suit : « Tout l’art de la guerre consiste en une défensive bien raisonnée, extrêmement circonspecte et en une offensive audacieuse et rapide ».
Ce système de sûreté reposait sur la création, en arrière de son armée, d’une place de campagne, forteresse ou ville fortifiée, qui ne pouvait être surprise et où les dépôts, parcs, hôpitaux des armées, etc., étaient réunis : c’était sa base d’opérations. Quand l’armée faisait mouvement en avant, l’objectif de sa cavalerie de sûreté était de masquer son plan et les mouvements de son armée, tout comme l’objectif de sa cavalerie d’exploration, dont on a déjà parlé, était de sonder le plan de l’ennemi pour lui permettre de modifier le sien. Quand le mouvement en avant ne pouvait être dissimulé plus longtemps par le rideau de la cavalerie de sûreté, ainsi qu’il arriva au cours des marches qui précédèrent immédiatement les batailles d’Iéna et d’Eckmühl, il recherchait le secret par la rapidité du mouvement.
Napoléon avait, considérée dans son ensemble, une conception de l’offensive et de la défensive pleine de bon sens. « La guerre défensive, disait-il, n’exclut pas l’attaque, de même que la guerre offensive n’exclut pas la défense » ; « avec des troupes médiocres, il faut remuer beaucoup de terre » ; il voulait dire par là qu’il fallait raffermir leur confiance en les faisant se retrancher. Ce principe s’appliquait aussi aux détachements isolés : « Il est de principe militaire que tout corps détaché se retranche lui-même, et c’est un des premiers soins qu’on doit avoir en occupant une position ». Mais pour une armée, il en était autrement, et, dès août 1793, - c’est-à-dire, avant de prendre le commandement de l’artillerie à Toulon, - il écrivait dans sa brochure politique, Le Souper de Beaucaire : « Dans l’art de la guerre, il est un axiome, à savoir que celui qui reste dans ses tranchées, sera battu : l’expérience et la théorie sont d’accord sur ce point ». La guerre statique, pour Napoléon, était à rejeter impitoyablement.