La révolution praxéologique
Heilige Gefässe sind die Dichter, Worin des lebens
Wein, der geistder Helden sich aufbewahrt, aber der geist dieses Jünglings, Der
schnelle müsst' er es nicht zersprengen,wo es ihn fassen wollte, das Gefäss.
Der Dichter lasst ihn unberührt Wie den geist der
Natur, An solchem Stoffe wird zùm knaben der Meister, Er kann im Gedichte,
Nicht leben und bleiben, Er lebt und bleibt in der Welt.
F.
Hölderlin. Buonaparte (1798)*
"Il ne peut vivre et demeurer dans le poème",
le génie de l'action. Il échappe à la prise du langage grâce auquel le poète
tente de déchiffrer et de dire "l'esprit" caché de "la
nature". Privilège de l'homme du verbe comme de l'homme de science, mais
opérant autrement, le pouvoir d'interroger et de donner sens trouve ici sa
limite : l'homme de guerre résiste à la question. Il n'est pas un objet
de pensée et de discours comme les autres, que l'on pourrait approcher et décoder
en lui appliquant les grilles de lecture et d'interprétation usuelles ;
expliquer et restituer dans la langue commune.
Admirable leçon d'humilité... En
quelques vers, Hölderlin indique l'obstacle, à connaissance de l'homme,
que constituent non seulement la manifestation insolite du génie - une
singularité dans la masse - mais aussi l'existence d'une classe exotique de créateurs.
Sans doute, même s'il n'est pas Bonaparte - "le dieu de la guerre",
pour Clausewitz - tout agissant obéit à la volonté de faire : vocation poétique.
De même que le poète opère avec et sur les mots, l'homme d'action travaille
à transformer un matériau d'œuvre ; à provoquer une transition de
phase entre un état de choses donné et un autre état, projeté dans le
futur imaginaire.
Mais dès lors que l'objet à informer,
déformer et reformer est un système dynamique de systèmes socio-politiques
interactifs et d'une déroutante complexité, dès lors que la capacité de
morphogenèse réside dans des forces non-ordinaires - celles de la violence armée
- l'œuvre de l'homme d'action procède d'opérations mentales et physiques
singulières ; si obscures même, que la restitution de ses pouvoirs
d'invention et de création est hors de portée du maître du verbe. L'action
stratégique, dont la guerre n'est qu'une modalité, se découpe en effet, dans
l'ensemble des activités humaines individuelles et collectives, par des déterminations
et des attributs, des finalités et des modes opératoires qui lui confèrent
une fonction et un sens étrangers aux travaux et jours ordinaires des sociétés.
Dans l'ordinaire de notre existence,
nous pensons et agissons pour communiquer, produire, échanger, accumuler,
consommer. activités positives trouvant leur sens dans l'accroissement
du savoir et des "richesses" grâce auxquels nous tentons non
seulement de survivre, mais aussi de vivre mieux : auto conservation et
production sont les deux fonctions primaires de l'espèce, étroitement liées,
en principe complémentaires, mais qui s'opposent parfois. L'introduction des
forces de violence physique dans le commerce banal des sociétés, afin de résoudre
leurs crises de croissance, ne peut être qu'un motif de scandale pour la
raison. La puissance du négatif n'est pas aisément reconnue par les
sectateurs du progrès. Ils acceptent mal ce constat : tout se passe dans
l'histoire comme si tout corps social ou système politique devait admettre la nécessité
d'une violence collective et l'obligation de recourir, en certains moments
critiques de son existence, aux moyens de la négation la plus radicale :
les armes. Par leur nature et leurs effets de mort et de destruction, elles
contredisent la naturelle pulsion de faire et de construire manifestée par le
jeu usuel des forces économiques et culturelles. Cruel déterminisme
historique, qui autorise l'homme des armes à se vouloir un opérateur comme les
autres des nécessaires transformations du Monde : spéculant sur la fécondité
du désordre et du chaos provoqués, il prétend construire en déconstruisant.
Contre l'idée reçue, il produit lui aussi : il modifie, par son
intervention calculée, la pente naturelle de l'évolution des systèmes
socio-politiques en état de coexistence conflictuelle. Il peut précipiter le
passage d'un Monde moribond, mais qui ne se résigne pas à mourir, à un autre
jusqu'alors à l'état naissant mais qui ne parvenait pas à se former. Mais il
peut également, au service de politiques attachés à l'ordre établi,
ralentir, voire interdire le changement. Il opère en provoquant une rupture
brutale dans le progrès linéaire et cumulatif ou en jouant, plus subtilement,
de la menace de rupture, qui suffit à freiner un changement amorcé.
Que, par l'immixtion des forces de
violence dans le travail des forces ordinaires, la stratégie produise les décisives
fluctuations capables de faire bifurquer irréversiblement le cours normal des
choses, voilà qui répugne à notre sensibilité et heurte notre confiance
native, reposante pour l'esprit, dans les vertus d'une histoire plate, sans
catastrophes ; une histoire qui, selon le sens commun, devrait pouvoir dénouer
pacifiquement ses crises et être régulée par la négociation, par la parole
réduisant les tensions. L'homme de
la violence pense et agit donc à contre-courant. Il n'existe que par le rejet,
contrariant pour les belles-âmes, de l'utopie iréniste. Parce que son action
provoque l'inversion des valeurs usuelles gouvernant les relations inter-sociétés,
parce qu'elle suppose une lecture pessimiste du sens de l'histoire, elle ne peut
être pensée sans mauvaise conscience par les hommes de culture, qui répugnent
à considérer le travail des armes comme un objet de savoir licite. Le scrupule
moral est, ici, un obstacle à l'objectivité : théologie et droit laïque
de la guerre juste n'ont cessé d'être dénoncés comme les contorsions d'un réalisme
pragmatique, d'une Realpolitik n'osant pas se montrer à découvert.
Comment, dans ce climat de réprobation, la pensée de l'homme armé
n'aurait-elle pas été méprisée, par les penseurs patentés, comme une
sous-pensée réduite au court-circuit mental par quoi le cerveau fruste résout,
sans inutile réflexion - sans littérature - le problème simple et immédiat
de la suppression radicale de l'autre ? D'ailleurs, on observait que les
plus grands talents militaires avaient été souvent octroyés, par un caprice
incompréhensible de la nature, à des hommes ne brillant guère par
"l'esprit" : Maurice de Saxe lui-même trouva plaisante son élection
à l'Académie...
Longtemps, les bons esprits doutèrent
donc que la pensée du soldat, jugée expéditive, méritât d'être observée.
Et pour que la pensée stratégique accède au statut gratifiant d'objet de pensée,
pour que penser stratégiquement soit banalisé, aujourd'hui, dans des branches
de plus en plus nombreuses de nos activités, il fallait que fussent défiés
bien des tabous sociaux et surmontées bien des répugnances intellectuelles.
LA REVOLUTION
PRAXEOLOGIQUE
Un
obstacle épistémologique
L'optimisme
historique et les normes éthiques ne furent pas les seuls obstacles à
l'accession de la pensée stratégique au statut reconnu d'objet de
connaissance. La réflexion sur la guerre et l'art militaire -premier état de
ce que nous nommons aujourd'hui stratégie - fut longtemps le domaine réservé
des professionnels ; non seulement des hommes de guerre, mais aussi des
"civils" qui, comme ce fut courant dans l'Antiquité, assumèrent
conjointement des fonctions politiques, administratives et militaires : de
Thucydide à Machiavel, la polyvalence fut quasiment la règle. Puis, quand le
partage sociologique des rôles s'affirma - vers le milieu du XVIIe siècle -
les experts civils, qui se risquèrent avec bonheur sur le terrain de chasse des
militaires, se raréfièrent. Quels "grands noms" mentionner après
Engels, Corbett, Jaurès, Delbrück, Trotsky, Lénine, dans la période
1815-1940 pourtant riche en littérature de guerre ?
Cette
rareté des théoriciens civils, dans les temps modernes, confirme le peu
d'attirance de ce qu'on nommera plus tard sciences humaines et sociales pour la
science et l'art de la guerre, celle-ci étant pourtant reconnue comme une
activité constante, universelle et souvent déterminante des sociétés. Nous
observons même que, si la philosophie, vouée à chercher les raisons des
choses, n'a pas évacué le fait-conflit et le fait-guerre de ses
interrogations, seules les philosophies politique et morale les ont retenus
comme objets de pensée. Si, selon Cournot, la philosophie est également "l'étude
des formes de la pensée et des procédés de l'esprit humain" 1,
on ne voit pas qu'elle ait prêté une grande attention au fait que la guerre
est aussi un produit de "l'esprit humain", et que faire
la guerre implique des "formes" et des "procédés" mentaux
particuliers. D'ailleurs, c'est l'action en général, quels que soient ses
domaines d'application, qui fut négligée par les philosophes.
Sans
doute, les Grecs n'ont pas manqué d'observer que l'action impliquait une
attitude d'esprit particulière ; que la pratique finalisée, le faire
affronté à des obstacles qu'il fallait surmonter pour réaliser un projet -
cela peut être une définition de la stratégie - supposait un certain type
d'intelligence des choses et d'opérations mentales. Mais Platon rejette du
champ philosophique, parce qu'échappant à la connaissance exacte, les
productions humaines qui procèdent d'un savoir incertain, les "arts
stochastiques" réductibles au savoir-faire de la technique exploitant des
procédés et recettes fournis par l'expérience, par la pratique répétitive.
Même si Aristote est moins radical puisque, pour lui, l'inexact peut être
objet de connaissance, le savoir sur le savoir-faire ne peut être, lui aussi,
que conjectural ; et il illustre son propos en évoquant le politique dont
l'action finalisée est conçue et se développe dans un milieu où rien n'est
jamais stable. Il n'est donc pas excessif de dire que "les options qui
ont alors été prises ont si fortement pesé sur le cours de la pensée
occidentale qu'elles ont, à l'époque moderne encore, orienté la tradition
historique et philologique dans une voie à bien des égards étroite" 2.
L'action
n'a pas donc pas été reconnue, aussi naturellement qu'on pourrait le croire,
comme un objet de raison. Tout s'est passé comme si, dans notre espace culturel
originel, la grande aventure de la connaissance avait, en s'attaquant à l'objet
action, buté, dès l'origine et pour longtemps, contre un obstacle épistémologique :
celui que constituent, pour l'entendement et le jugement, l'instabilité de ses
déterminations et de ses attributs, sa nature foncièrement contingente et la
singularité des processus mentaux requis par un faire toujours local.
Obstacle épistémologique pour une volonté de connaissance rationnelle qui
percevait l'objet action comme ressortissant à "la technique" et à
"l'art", alors qu'elle privilégiait l'approche
"scientifique", la quête du général sous le particulier, des
essences sous les accidents, et poursuivait le dévoilement des régularités
cachées sous les variations des phénomènes.
Des
pratiques à la praxéologie
Il
faudra donc attendre longtemps pour que soient surmontés le malaise, voire
l'indifférence de la pensée rationnelle devant les objets de pensée flous
proposés par les productions de l'agir humain, individuel ou collectif. En
outre, reconnaître que la pensée de l'action est d'une nature particulière
est une chose ; une autre, dire comment opèrent l'entendement, le jugement
et l'imagination créatrice de l'agissant, et de répondre à la question
fondamentale : comment pense-t-on pour agir conformément à l'économie de
l'action ? Comment fait-on pour faire, en posant comme axiome qu'on ne fait
pas n'importe quoi n'importe comment ? Il s'agissait donc d'élaborer une
problématique de la pratique, dans tous les domaines de l'activité humaine, et
de constituer ce qui sera la praxéologie3.
Après
les précurseurs du XVIIIe siècle - les Encyclopédistes et physiocrates, les
empiristes et utilitaristes comme Hume et Bentham - des économistes et
pragmatiques comme Austin, Senior, Whewell, Stuart Mill, Cournot, Dunoyer,
Courcelle-Seneuil, Espinas, entreprirent, au XIXe siècle, de conceptualiser et
d'établir les premières propositions sur les rapports entre action et pensée,
science et art, théorie et pratique, etc.4. une
nouvelle discipline émergeait dans le champ du savoir, bien qu'encore
timidement : elle figura dans la classification des sciences, exercice à
la mode à l'époque du positivisme triomphant. Observons qu'elle apparaît en même
temps que la sociologie d'Auguste Comte, et cette conjonction n'est sans doute
pas de hasard : il s'agit, ici et là, d'approcher le phénomène-humain
dans toutes ses dimensions, à travers toutes les activités mentales et
physiques grâce auxquelles l'individu et ses divers groupes d'appartenance
manifestent leur être et leur existence. Conjonction, également, avec une
philosophie politique qui ne se borne plus à décrire les systèmes de
relations concevables entre les éléments des sociétés et à spéculer sur le
statut idéal des institutions, mais qui entend fonder rationnellement l'action
politique finalisée : quand Marx écrit que "les philosophes n'ont
fait qu'interpréter le monde de différentes manières, mais il s'agit de le
transformer" 5, il rompt non
seulement avec la leçon de Hegel, qu'il "remet sur ses pieds", mais,
plus fondamentalement, avec la tradition platonicienne. L'idéologie n'a de sens
que par la pratique qu'elle fonde et qui accomplit son projet ; la praxis
marxiste est praxéologie associant nécessairement pensée et action, théorie
et pratique qui se nourrissent dialectiquement de leurs apports mutuels et de
leurs critiques réciproques.
Si la
politique est projet et si le projet de l'un croise nécessairement ceux des
autres coexistants, si toutes ces projections dans l'imaginaire ne s'inscrivent
dans la réalité que par des actions collectives qui se rencontrent et interfèrent,
s'associent ou se contrarient selon les convergences et divergences de leurs
fins respectives, la politique s'accomplit par ce type particulier d'action
qu'est la stratégie : celle-ci n'est que la politique-en-acte.
Si
politique et stratégie sont indéfectiblement associées comme l'avers et le
revers d'une monnaie, des politiques comme Engels et Lénine devaient
logiquement "descendre" de la politique vers la stratégie - par le
biais de la guerre, l'un des modes de la stratégie militaire - et des hommes de
guerre comme Clausewitz, à travers la fameuse "formule" de Vom
Kriege, et Guibert, par le Discours préliminaire, devaient non moins
logiquement "remonter" de la guerre vers la politique. Double
mouvement, qui éclaire la nature et le statut épistémique de la pensée de la
guerre et, plus généralement, de la pensée stratégique (dans son extension
moderne) : la problématique de la stratégie se constitue et se développe
à partir des questions premières qui se posent à son interface avec la
politique. Or ces problèmes d'interface ne sont pas aussi simples que le
donnait à croire la théorie clausewitzienne, qui posait une relation linéaire,
transitive, de fin à moyen entre politique et guerre. Grâce à la pensée systémique
et cybernétique, nous savons aujourd'hui que le moyen agit récursivement sur
la fin ; que la guerre (ou la stratégie militaire) rétroagit sur les fins
politiques initiales, qu'elle influence et peut modifier par ses conditions d'exécution
et ses résultats. Relations complexes, donc, de détermination réciproque,
circulaire, entre la politique et son instrument stratégique, même si le
dernier mot revient à celle-là. Le politique peut décider de négliger
les effets de récursion de l'action stratégique sur ses projets ; mais
qu'une nouvelle décision doive être prise montre bien l'existence d'une
détermination réciproque associant politique et stratégie. Elles sont
asservies l'une et l'autre. Un exemple parmi d'autres : en 1914, les
exigences stratégiques du plan Schlieffen ont induit les Allemands à
envahir la Belgique et à soulever ainsi le problème de l'intervention
britannique qui modifiait considérablement la dimension et les fins
politiques du IIe Reich dans le conflit.
Le
XIXe siècle consacra donc la définitive association de la philosophie
politique et de ce qu'on nomma la philosophie de la guerre6 ;
cela dans le moment où l'interrogation philosophique débordait de son champ
traditionnel pour conférer, à la sociologie et à la praxéologie, le statut
d'objets de pensée et de disciplines autonomes. Ne peut-on voir, dans ce
mouvement général de la pensée, l'une des causes de l'exceptionnelle fécondité
de la pensée militaire entre 1870 et 1914 ? L'esprit positif alors
dominant a sans doute nourri, comme un bouillon de culture, la volonté générale,
en Europe mais surtout en France et en Allemagne, de soumettre l'action de
guerre à l'analyse rationnelle restituant la mécanique des opérations et,
plus profondément, l'apprentissage et le fonctionnement intellectuels du type
particulier d'agissant qu'est l'homme de guerre. Les controverses sur la science
et l'art de la guerre, sur les liens entre théorie et pratique reflétaient
l'esprit de la praxéologie d'alors : il s'agissait bien de reconstituer,
en déchiffrant l'histoire militaire traitée comme un registre de protocoles
d'expériences, les mécanismes du cerveau aux prises avec les problèmes de
l'action. Quand Camon "entreprend d'établir la théorie de la guerre
napoléonienne, c'est-à-dire de rechercher les idées fondamentales sur
lesquelles reposent les opérations et les batailles de Napoléon, et aussi les
procédés techniques par lesquels il les a réalisées", il
"s'impose de la construire uniquement avec les observations recueillies
dans les trente-deux volumes de la correspondance de Napoléon, et dans une
analyse de ses campagnes faites à la lumière de cette correspondance" 7.
Il cherche donc, dans les instructions et ordres de Napoléon, dans les réflexions
générales qui les accompagnent, les traces des délibérations et calculs - des
computations sur lesquels se fondent ses décisions. Il ne s'agit pas de récapituler
et de décrire l'ensemble des faits et événements constitutifs d'une histoire,
de reconstruire phénoménologiquement l'action achevée et déposée dans
l'histoire, mais de reconstituer le système des opérations mentales concevant
et pilotant un agir ; d'analyser les processus de création du stratège œuvrant ;
de répondre à la question : pourquoi et comment le génie de la guerre
fait-il ce qu'il fait ?
Toutefois,
c'est seulement depuis la fin du second conflit mondial que le dessein de la
praxéologie s'est accompli dans la pensée stratégique, extension de la pensée
militaire. Et, là encore, ce n'est pas une rencontre de hasard si la sociologie
politique et de "défense" a, simultanément, mobilisé de nombreux
chercheurs : l'action politico-stratégique est collective. Elle engage
l'homme à travers ses divers groupes d'appartenance, systèmes hétérogènes
dont les projets et conduites sont irréductibles à "la somme" des
projets et conduites individuels8.
En
inaugurant les temps nouveaux, "la bombe" a mobilisé l'attention non
seulement des politiques et militaires, mais aussi des observateurs de la chose
publique, sur les risques des projets et conduites politico-stratégiques
aventurés. Constamment présent dans les représentations des situations
conflictuelles actuelles et futures, le risque de catastrophe nucléaire, aggravé
par l'antagonisme radical Est-Ouest, ne pouvait qu'induire les Etats à tempérer
leur naturelle volonté de puissance et leur agressivité. Le problème du droit
à la guerre et de la décision de guerre se posait donc en d'autres termes que
par le passé. Mieux : toutes les décisions politiques et stratégiques
des temps ordinaires devaient tenir compte du risque nucléaire dès lors que
leurs implications cumulées pouvaient être le germe de crises inter-étatiques,
susceptibles d'échapper au contrôle des grandes puissances. Et si une crise se
nouait ou si la dissuasion échouait, qui maintenait la stabilité dans une région
sensible, les décisions prises, pour "manœuvrer" la crise ou pour
piloter une guerre locale engageant les Etats nucléaires, devaient se garder
d'accélérer la montée en puissance du conflit.
Ainsi,
dans la mesure où l'action politico-stratégique s'est toujours résumée dans
des séries enchaînées de délibérations ou computations, d'évaluations des
situations conflictuelles actuelles et futures, de calculs des voies et moyens
adaptés aux fins, etc. - toutes opérations suivies de décisions - le problème
général de la conception de l'action et celui de la décision, qui projette
l'intention dans la réalité, s'installait au cœur de la pensée stratégique
contemporaine. Conception et décision ne pouvaient plus être abandonnées à
l'improvisation inspirée, fût-elle géniale. les approximations dans les évaluations,
et les erreurs de jugement dans le choix de la solution optimale entre les
concevables, étaient désormais trop chargées de risques prohibitifs et
rendaient trop aléatoire la résolution des conflits. En outre, le coût des
moyens de l'action, aggravé par la course aux armements, s'avérait de plus en
plus excessif eu égard à "la richesse des nations". Tous ces
facteurs d'aléas et de risques imposaient donc de systématiser la recherche
sur les conditions de rationalité de l'action et sur les instruments
intellectuels capables de les définir et de les inscrire, comme autant de
contraintes, dans les nouvelles conceptions et décisions stratégiques.
Appliquée
à l'action, la notion de rationalité n'est pas aussi claire qu'elle le paraît.
Notion récente en stratégie, même si elle fut toujours implicite. Naguère,
la critique jugeait les conduites des chefs de guerre sur les résultats
tangibles de leurs opérations : leur réussite prouvait la validité de
leur "pensée" et la rationalité des décisions s'identifiait, en
fait, à l'efficacité observable des opérations physiques qu'elles avaient
provoquées. La rationalité était donc un critère de jugement ex post :
la description et l'analyse critique des campagnes et des batailles passées
permettaient, par exemple, de dire si les principes de la guerre avaient été
respectés, si la conduite de la guerre avait observé les contraintes imposées
par les finalités politiques, etc. Aujourd'hui, devenu explicite, le critère
de rationalité n'intervient plus seulement dans le jugement a posteriori des
processus mentaux du stratège, dans l'accroissement et la précision du savoir
sur la stratégie. Il s'agit désormais d'accroître et d'affiner les pouvoirs
du stratège agissant, et de conférer une vertu heuristique au critère de
rationalité : rationalité active, que traduit bien
"rationalisation".
Rationaliser
l'action, c'est soumettre les opérations intellectuelles et physiques du système
actif - donc les décisions - à un ensemble de principes et de règles qui,
appliquées à la computation et à la conduite des actants, traduisent les
exigences et contraintes spécifiques de l'action collective finalisée, conçue
et développée en milieu conflictuel ; c'est observer un ensemble de
prescriptions normatives imposées par l'économie, par la grammaire et la
logique caractérisant ce type de pratique, qui est celle d'un système complexe
en interaction avec d'autres et condamné à "penser" dans un
brouillard d'incertitudes. Observons que la rationalisation de l'entreprise
politico-stratégique doit s'appliquer à plusieurs "niveaux" de la
computation : d'abord, dans la traduction des fins politiques en buts stratégiques
(planification stratégique) et dans la comparaison des espérances de gain et
des risques (espérance politico-stratégique) ; ensuite, dans la définition
des moyens de l'action qui doivent être adaptés à ses finalités (pertinence) ;
enfin, dans le calcul du rapport optimum entre l'efficacité opérationnelle de
ces moyens et leur coût de réalisation et d'emploi.
La
nouvelle boite à outils
Par la
médiation de la stratégie, le rêve des précurseurs de la praxéologie
s'accomplissait enfin puisque l'on tentait de répondre à la question
fondamentale : comment fait-on pour faire rationnellement ? Que, sous
la pression de l'urgence, cette question se soit posée dans le domaine
politico-stratégique et, plus précisément, dans celui de la stratégie générale
militaire, ne fut pas sans importance : dans le même moment, les divers
secteurs d'une activité économique de plus en plus complexe et concurrentielle
s'interrogeaient également sur les conditions de rationalité de la production
et des échanges. La compétition économique et le conflit politique présentaient
assez de similitudes pour que le concept et les méthodes de la stratégie,
d'origine militaire, diffusent dans tous les domaines de l'activité compétitive,
et même au-delà. Inversement, cette généralisation de l'esprit stratégique
permettait de transférer, dans le domaine politico-stratégique, le résultat
des recherches et expériences praxéologiques conduites dans les diverses
branches de la production industrielle9.
L'extension
du champ de la praxéologie rationnelle par échanges systématiques entre les
activités "civiles" et la stratégie politico-militaire fut stimulée,
on le sait, par l'engagement de nombreux experts venus de toutes les branches du
savoir pour introduire plus d'objectivité scientifique dans la problématique
de "la défense", et plus de rigueur dans les évaluations et la
computation stratégiques. L'effort de tous porta d'abord sur les méthodes. Il
suffit de mentionner, en vrac, après les succès de la recherche opérationnelle,
la méthode Delphi et celle des scénarios, l'analyse morphologique, la méthode
multicritères et des arbres de pertinence, l'analyse de systèmes, la théorie
des graphes et la méthode PERT, les programmations linéaire et dynamique, le
PPBS aux Etats-Unis et la RCB en France, etc. l'invention méthodologique s'est
constamment appuyée, depuis 40 ans, sur les probabilités et les statistiques,
sur les théories des jeux, des systèmes et des modèles, sur la pensée cybernétique,
la théorie de l'information et l'attitude prospective, et - ne serait-ce que
par analogies et métaphores - sur les théories des catastrophes (morphogenèse
et stabilité), du chaos (imprévisibilité des fluctuations) et des objets
fractals (constructions irrégulières où domine le hasard), sur la théorie de
la complexité dynamique (structures dissipatives et phénomènes d'instabilité).
Ce
rapide inventaire indique bien la tendance générale de la nouvelle praxéologie :
il s'agit de constituer la boîte à outils désormais indispensable à
quiconque tente de comprendre l'action stratégique, d'expliquer ses
particularités - de la théoriser - et de fournir, au praticien, des
instruments intellectuels pertinents et efficaces - rationnels - pour guider ses
procédures décisionnelles. Outillage d'autant plus nécessaire qu'il faut décider
sous l'empire des incertitudes, puisque celles-ci sont inhérentes à la nature
d'une computation devant anticiper l'avenir - plus ou moins déterminé, indéterminé
et aléatoire, selon la nature et l'évolution des déterminations (ou facteurs)
de l'action - et au milieu conflictuel dans lequel se développent les
dialectiques des volontés et des libertés d'action du même et de l'autre10.
Le
grand dessein de la praxéologie stratégique fut toujours et demeure de réduire
les inconvénients de la contingence, qui caractérise tout agir ; de
pallier les erreurs de la prévision dans le flou et les turbulences ;
d'anticiper et de corriger les écarts de la conduite aléatoire ; de
piloter rationnellement les transitions de phases de systèmes politico-stratégiques
instables, fluctuants, et dont l'évolution résulte de la composition de phénomènes
réguliers et irréguliers. Depuis les systèmes d'équations de Lanchester et
de Richardson, la computation stratégique n'a cessé de rêver, au mieux, d'une
mathématique de l'action, d'algorithmes qui ne soient pas abusivement réducteurs
de la complexité dynamique ; à défaut, de reconstituer et de modéliser
la grammaire et la logique de l'action collective développée en milieu
conflictuel. Elle n'a cessé de vouloir établir les règles du calcul décisionnel
au sein de la macro-machine militaire, elle-même élément de la méga-machine
étatique ; cela, en s'appuyant sur quelque procédure hypothético-déductive,
corrigée par la probabilité, qu'autorise la structure modulaire et étagée
des relations de détermination réciproque - de fin à moyen - entre les divers
niveaux de décision-exécution du système politico-militaire. Mais procédure
fondée sur des axiomes qui fixent en amont, à l'étage de l'instance de
computation et de décision suprême, le projet politique et les déterminations
premières de la stratégie (par exemple : autonomie de décision et
finalités des alliances, données de situation géostratégiques, contraintes
de la règle du jeu, etc.).
Que
cette "mathématisation" ou "logicisation" de la praxéologie
stratégique trouve vite ses limites, les praticiens en furent toujours
conscients. La nature contingente et les hasards de l'action en milieu
conflictuel, la complication physique de la machinerie militaire, la complexité
d'une computation traitant des flux de plus en plus denses et rapides
d'informations hétérogènes, continues et évanescentes, les projections dans
l'avenir incertain - prospectif pour la stratégie des moyens - tout conspire à
sauver les apports de l'expérience. Un temps dévalorisées par une culture
stratégique que fascinait le progrès foudroyant des sciences et des
techniques, l'histoire des conflits et la généalogie de la stratégie, héritières
de l'histoire militaire, sont aujourd'hui réhabilitées. Sous réserve d'une
grille de lecture et d'interprétation adaptée à la nouvelle problématique
politico-stratégique, l'histoire constitue un stock d'expériences assez
abondantes et variées pour que leur analyse critique et comparée révèle des
analogies entre les "cas concrets" passés et actuels ; pour que
les régularités, qui traversent la diversité des problèmes posés aux
"anciens" et leurs solutions, autorisent des transpositions. Que la
prudence intellectuelle s'impose
au raisonnement par analogie, cela va de soi ; mais l'influence des modèles
et des paradigmes dans la composition des cultures stratégiques et la
psychologie des actants est trop claire pour qu'elle soit sans raison. La modélisation,
par l'analogie historique, s'avère donc le complément nécessaire des modèles
logiques et algorithmiques. En outre, la pertinence, la consistance et la
robustesse des théories construites, abstraitement, sur la grammaire et la
logique structurant les mécanismes mentaux du stratège quelconque,
doivent pouvoir être vérifiées en appliquant cette structure sur les oeuvres
stratégiques et le travail créateur des actants réels, tels que l'histoire
nous les dévoile. La boîte à outils de la pensée stratégique doit bien
contenir certains instruments de première nécessité constants,
invariants, parmi tous ceux qui l'ont enrichie au cours des millénaires...
Axiome
très contestable objecteront les contempteurs de l'histoire. Vérifié,
pourtant, par ceux-là mêmes, les plus modernistes, qui cherchent des aides à
la conception - ou à la décision - et qui les attendent de l'intelligence
artificielle. Il faut bien reconstituer le fonctionnement du cerveau opérant
stratégiquement avant de lui trouver un substitut électro-informatique.
Construire la matrice de conduites qu'est la machine d'inférences suppose la
connaissance des procédures mentales du stratège. Et l'exploitation du thésaurus
de pratiques et de théories engrangé par la mémoire historique complète
heureusement l'analyse des démarches logiques du stratège quelconque,
trans-historique11. Plus généralement, si
l'intelligence artificielle marque une nouvelle étape, encore imparfaite, dans
la genèse de la praxéologie stratégique, elle confirme que la clé de
celle-ci doit être cherchée d'abord dans l'intellect du stratège. Comme tout
processus d'invention ou de création, la poétique stratégique renvoie
donc aux sciences cognitives : neurophysiologie, psychologie, épistémologie
génétique, linguistique, sémiologie, logique, etc. Elle pose le problème général
de la connaissance du sujet à l’œuvre.
Il
faut donc définir et analyser les conditions d'exercice - champ mental concerné
et contraintes - , et les modes opératoires propres à l'esprit appliquant ses
facultés et pouvoirs naturels, en privilégiant certains d'entre eux, à
produire par l'agir stratégique. Modes opératoires déterminés et structurés
par les grandes catégories mentales spécifiques de cette pratique : le
système dynamique et
la dialectique des sous-systèmes sociopolitiques même-Autre dans toute
situation de conflit (positions relatives et postures des adversaires et
partenaires, tensions et règle du jeu local, espérances politico-stratégiques
respectives, etc.) ; la finalité de l'agir (décomposée en fins
politiques, buts stratégiques, objectifs et fonctions tactico-techniques) ;
les voies et moyens adaptés à ces fins (nature et volume des forces
capables d'effets de violence physique ; organisation systémique et emploi
opérationnel, ou manœuvre, de ces forces, en vue d'assurer la circulation de
l'information et de provoquer les transformations énergétiques nécessaires
pour produire les effets physiques sous les contraintes du jeu d'actions-réactions
du système même-Autre) ; l'espace de déploiement de l'agir (étendue
géographique, milieu - terre, air, mer - et topographie, mais aussi espace sociétal,
etc.) ; le temps (durée totale de l'action découpée en séquences
d'opérations élémentaires ou praxèmes).
On
voit que ces catégories ne font que singulariser celles de toute pensée praxéologique :
il s'agit toujours de définir et de respecter l'économie de l'action de
systèmes dynamiques de sous-systèmes bouclés ; d'accorder fins et
voies-et-moyens selon une procédure cybernétique de détermination réciproque,
récursive, et non de détermination transitive et linéaire - comme je l'ai dit
à propos de l'"effet en retour" de la stratégie militaire sur la
politique. démarche intellectuelle en spirale ou hélice, puisque
l'action se développe dans le temps, constamment relancée par les décisions
successives et prises sur l'information que fournissent la mesure et la
correction des écarts constatés entre résultats obtenus et fins projetées.
C'est bien là un problème fondamental, et les recherches sur l'intelligence
artificielle - et jusqu'à leurs échecs - peuvent induire la pensée de l'agir
à préciser ses règles de fonctionnement optimal.
L'autre
problème fondamental soulevé par la compréhension de la mécanique mentale,
et que l'intelligence artificielle met en relief, est celui du langage.
Représenter et expliquer l'objet-stratégie implique la définition et l'usage
de concepts spécifiques ; non pas de concepts isolés, mais d'un corps
de concepts qui se définissent autant par leurs relations structurelles -
l'un par l'autre - que par leur sémantique propre. Mais, si établir une langue
rigoureuse et cohérente est nécessaire autant à la compréhension de l'objet-stratégie
qu'à la circulation de l'information sans perte de sens et à la communication
claire entre les actants, cette langue est vivante. elle ne cesse d'évoluer
avec la pratique stratégique elle-même. De là, la dégradation des concepts
usités et leurs dérives de sens plus ou moins bien perçues, les décalages
entre leur contenu sémantique et la réalité qu'ils doivent représenter. La
pensée stratégique manque alors de rigueur, nourrit les équivoques. Le corps
de concepts et les théories deviennent inconsistantes et recèlent des
contradictions d'autant plus graves qu'elles sont longtemps inaperçues. La praxéologie
stratégique implique donc un incessant travail de conceptualisation, de mise à
jour du langage. Mais quoi que nous fassions pour le rajeunir, pour annuler les
retards de la théorie sur la pratique et les écarts entre les concepts et les
stratégies concrètes, historiques, ce langage ne peut éliminer toutes
les zones de flou sémantique ni a fortiori maintenir la cohérence de la
structure conceptuelle12.
La boîte
à outils de la pensée stratégique demeure donc non seulement incomplète,
mais souvent inadaptée aux exigences de la connaissance rigoureuse et de la
pratique efficace. Il aura fallu l'intervention de l'épistémologie, sa
critique des instruments de la connaissance - de la représentation et de
l'explication - et de ceux qu'utilise le praticien producteur des stratégies
concrètes, pour que nous prenions la mesure des difficultés inhérentes au
dire et au faire stratégiques. Le passage de l'empirisme pragmatique à la praxéologie
rationnelle a tempéré l'optimisme des stratèges misant sur les seules leçons
de l'expérience et sur l'improvisation capable de tirer le meilleur parti de la
circonstance et du hasard. Certes, le génie trouve ses motifs d'excitation
mentale dans les incertitudes mêmes de l'agir. la volonté de création la plus
puissante s'impatiente donc à devoir passer sous le joug de l'épistémologie -
mot barbare et inhibiteur pour une activité de l'esprit s'exerçant sous la
pression de la contingence, dans un duel des volontés qui s'accommode mal de la
ratiocination. "Je ne cherche pas, je trouve", dit Picasso ;
mais, par définition, le cerveau génial n'est qu'un accident de l'évolution...
une catastrophe. Le génie stratégique, lui aussi, est l'exception, et
les apprentis doivent apprendre, laborieusement, à comprendre ce qu'ils font...
ou tentent de faire.
Que
notre savoir sur l'esprit-en-acte demeure fragmentaire et que, de l'aveu d'Hölderlin,
subsiste à jamais une face cachée du cerveau concevant et décidant
l'action, nous devons en prendre notre parti. Mais que des îles de savoir
émergent de notre ignorance, de plus en plus nombreuses et reliées, et
qu'elles s'organisent en archipels théoriques de plus en plus vastes et cohérents,
cela suffit à justifier l'aventure intellectuelle des générations de praxéologues
qui nous ont précédés et celle des chercheurs que ne désespèrent,
aujourd'hui, ni l'immensité du chantier ni la difficulté de soumettre la pensée
stratégique à la rigueur décapante de la volonté de rationalité.
D'ailleurs, les dérives modernes du concept de stratégie, les abus mêmes de
ses transferts dans les nombreux secteurs de la production humaine, individuelle
ou collective, montrent éloquemment que la pensée stratégique procède d'un
foyer mental, d'un "point central" commun à tous ceux que travaille
la volonté de création. Inversement, qu'un expert en poétique comme Valéry
associe Bonaparte et Léonard de Vinci dans ses questions de méthode, que ses Cahiers
évoquent les politiques et les militaires au même titre que les scientifiques
et les artistes, suggère que toute recherche sur les processus de création
trouverait profit à analyser la manœuvre de l'esprit stratégique,
et qu'on pourrait concevoir une poétique générale dont la stratégique
serait une variété.
Notes:
1 Antoine
Augustin Cournot, Essai sur les fondements de nos connaissances et sur les
caractères de la critique philosophique, 1851.
2 Marcel
Detienne et Jean-Pierre Vernant, Les ruses de l'intelligence. La mètis des
Grecs, Flammarion, coll. Champs, 1974.
3 Le
mot, inventé par Louis Bourdeau (1824-1900) pour désigner une Science des
fonctions, sera définitivement imposé par Alfred Espinas (1844-1922), la
praxéologie s'identifiant pour lui à une Technologie générale (1890).
4 Pour
la généalogie de la praxéologie, voir Jean J. Ostrowski, Alfred Espinas,
précurseur de la praxéologie, ses antécédents et ses successeurs, Paris,
librairie générale de droit et de jurisprudence, 1973. Ouvrage touffu, mais
dont les références foisonnantes seront précieuses au chercheur, comme elles
me le furent naguère, bien que l'accès à des ouvrages souvent peu répandus
demeure malaisé....
5 Karl
Marx, Thèse 11 sur Feuerbach.
6 L'histoire
de la philosophie
d'Albert Rivaud consacre le chapitre XXII de son tome V, 2e partie, à la
philosophie de la guerre : les théoriciens militaires de Jomini à Clausewitz.
7 Lieutenant-colonel
Hubert Camon, La guerre napoléonienne. Les systèmes d'opérations,
1907, Avant-propos.
8 Notons
que le Traité de polémologie de Gaston Bouthoul est sous-titré : Sociologie
des guerres ; et que l'auteur fut, à l'origine, un sociologue.
9 Le
passage de M. Robert MacNamara de la Ford Motor Company au secrétariat à la défense
des Etats-Unis (1961) illustre exemplairement la volonté d'introduire, dans les
stratégies militaire et intégrale, des méthodes d'évaluation et des procédures
décisionnelles ayant fait leurs preuves dans la stratégie économique. Ce
transfert n'alla pas sans difficultés et, au cours de la guerre du Vietnam, les
militaires "de terrain" dénoncèrent les contraintes que la
rationalisation systématique des choix budgétaires et l'oubli des contingences
imposaient à la conduite de la guerre..
10
Dans la
volumineuse littérature consacrée à la rationalisation de l'action et à la
théorie de la décision, quelques titres témoignent de la valeur heuristique
des disciplines auxiliaires évoquées ci-dessus : R.D. Luce et H. Raiffa, Games
and Decisions, N.Y., 1957 ; M. Olson Jr, The Logic of Collective
Action, Harvard, 1965 ; Herbert A. Simon, "The Architecture of
Complexity" dans The Sciences of the Artificial, MIT, 1968 ;
Ch. Hitch
et R. McKean, The Economics of Defense in the Nuclear Age, Harvard, 1960 ;
William J. Baumol, Economic Theory and operations Research, 1965 ;
Stafford Beer, Cybernetics and Management, N.Y., 1959 ; Graham T.
Allison, Essence of Decision, Boston, 1971 ; Paul A. Samuelson, Economics,
N.Y., 1970 ; John D. Steinbruner, The Cybernetic theory of Decision, New
Dimensions of Political Analysis, Princeton, 1974 ; W. Ross Ashby, A
Design for a Brain, N.Y., 1952 et An Introduction to Cybernetics,
Londres, 1970.
11
Voir ma Postface
"Introduction à une lecture de Colin", aux Transformations de la
guerre du général Jean Colin. Economica, 1989.
12 Voir
"Langage et structure de la stratégie" dans Lucien Poirier, Stratégie
théorique II, Economica, 1987.