Les éléments
de la guerre napoléonienne
Les éléments de la guerre napoléonienne que l’on considère ici comme étant les plus caractéristiques sont : 1° l’unité de commandement, 2° la qualité du commandement et de la troupe, 3° la méthode d’organisation de Napoléon.
Celui-ci considérait que l’unité de commandement était de première nécessité à la guerre, et il faut bien avoir à l’esprit que, dans toute l’acception du terme, elle n’est possible que lorsque la direction politique et militaire se trouve aux mains d’un seul homme, ainsi qu’elle le fut pour Napoléon, dès qu’il devint premier consul en janvier 1800. Cette unité totale ne se réalise pas, lorsque, comme c’est normal à la guerre, les décisions politiques sont distinctes des opérations militaires. Ce fut le cas sous le Directoire, et, comme Napoléon ne l’ignorait pas quand il prit le commandement de l’armée d’Italie, il définit ce que comportait l’unité de commandement. Le 19 janvier 1796, il écrivait aux Directeurs : « Il faut que le gouvernement ait une confiance entière dans son général, lui laisse une grande latitude et lui présente seulement le but qu’il veut remplir ». C’est là une définition complète, pourvu que le but fixé soit rationnel. Sur l’unité du commandement, il écrivait : « Dans les opérations militaires, je n’ai consulté que moi-même ; dans les opérations diplomatiques, j’ai consulté tout le monde », et, sur la campagne de 1796 : « J’ai fait la campagne sans consulter personne ; je n’eusse rien fait de bon, s’il m’eût fallu me concilier avec la manière de voir d’un autre ».
Pour autant que les circonstances le permettent, l’unité de commandement exige la réunion de toutes les forces disponibles aux ordres d’un seul général sur le principal théâtre d’opérations. Or, la tendance commune à tout gouvernement faible ou incompétent est de disperser ses forces pour pouvoir protéger tous les points vitaux. C’était, en 1806, le parti que prit Joseph Bonaparte, roi de Naples, à qui, le 7 juin, Napoléon écrivait sur un ton sarcastique : « Si vous prétendez garder tous les points de votre royaume, ce ne sera point assez des forces de France ».
L’unité de commandement fut à la base de maintes campagnes victorieuses de Napoléon et, ce qui est bizarre, comme nous le verrons par la suite, devint une des causes de sa chute finale. Cependant ses maximes : « A la guerre, les hommes ne sont rien, c’est un homme qui est tout » et : « Un mauvais général (commandant en chef) … vaut mieux que deux bons », restent aussi vraies de nos jours que lorsqu’elles furent énoncées pour la première fois.
Ce qu’il attendait de ses généraux et de ses soldats peut se discerner de ce qu’il écrivait et disait des qualités du général et du soldat.
Pour ce qui est du premier, la qualité essentielle d’un général est la fermeté. « L’esprit d’un bon général devrait ressembler, par la clarté, au verre d’un télescope, verre qui, ayant passé sur la meule, ne présente point de tableau à l’œil ». Un général, qui voit par les yeux des autres, ne commandera jamais une armée comme elle devrait l’être. Le succès à la guerre dépend du coup d’œil et de la compréhension du moment psychologique de la bataille. Si, à Austerlitz, Napoléon avait attaqué six heures plut tôt, il aurait perdu. Comme dit Napoléon «c’est la volonté, le caractère, l’application et l’audace qui m’ont fait ce que je suis ». Et réciproquement, «une armée de lions commandée par un cerf ne sera jamais une armée de lions ».
Pour ce qui est de ses hommes, il ne manquait jamais de stimuler leur vanité, d’accroître leur crédulité aux dépens de leurs craintes et au profit de leur confiance, et de transformer ainsi un être prudent et circonspect en guerrier, en un homme ayant la volonté de sacrifier sa vie pour une cause que, fréquemment, il ne comprend pas. « Tout homme qui estime la vie plus que la gloire nationale et l’estime de ses camarades, disait-il, ne doit pas faire partie de l’armée française ». Il ne s’adressait pas à leur bourse : « Il ne faut pas accoutumer les troupes à recevoir de l’argent pour des actes de courage, écrivait-il ; il suffit de leur écrire des lettres de satisfaction ». Il faisait plutôt appel à leur sentiment de la gloire. Quand l’empereur Napoléon disait en parcourant les rangs de son armée au milieu du feu : « Déployez les drapeaux ! Le moment est enfin arrivé ! », le geste, l’action, le mouvement faisaient trépigner le soldat français ». « La 32e demi-brigade se serait faite tuer pour moi, parce qu’après Lonato, j’avais écrit : « J’étais tranquille. La 32e était là ». La puissance des mots sur les hommes est étonnante ». « En Italie, nous étions toujours un contre trois, mais les hommes avaient confiance en moi. La force morale, bien plus que le nombre, décide de la victoire », et «ce n’est pas le nombre de soldats qui fait la force d’une armée, c’est leur loyauté et leur bonne humeur ». Il était si convaincu que, dans les contacts personnels entre officiers et hommes, se trouvait le secret de la réussite dans un commandement, que nous lisons dans un ordre du jour : « Un chef de bataillon ne doit pas se donner de repos qu’il ne soit instruit de tous les détails ; il doit même connaître le nom et le mérite des officiers et des soldats de son bataillon, lorsqu’il y a six mois qu’il le commande ». La santé de ses hommes le préoccupait extrêmement : « La maladie est l e plus dangereux des ennemis », écrivait-il, et « il vaut mieux livrer la bataille la plus sanglante que de mettre des troupes dans un lieu malsain ». Il disait de ses hommes en général : « Si le courage est la première qualité du soldat, la persévérance est la seconde ». Et, lorsqu’à Sainte-Hélène, Madame de Montholon lui demanda quelles étaient les meilleures troupes : « Madame, répondit-il, ce sont celles qui gagnent les batailles ».
Les succès de Napoléon dans l’organisation de ses campagnes résultèrent nettement de sa situation d’autocrate, qui lui permit de cumuler dans sa personne la conduite politique et stratégique de la guerre. Cet avantage, joint à cette unité d’intention et à son énorme travail, lui permettait de faire pénétrer son génie dans ses plans, à tel point que parfois ils dépassaient complètement la compréhension de ses généraux. La guerre se prolongeant et ses problèmes devenant plus complexes, le manque de subordonnés compréhensifs se fit de plus en plus dangereusement sentir. Ilen fut surtout ainsi au cours des campagnes de Leipzig et de Waterloo, où ses brillantes manœuvres furent gâchées par la stupidité de ses maréchaux. C’est pourquoi, à Sainte-Hélène, il disait : « Si j’avais eu un homme comme Turenne pour me seconder dans mes campagnes, j’aurais été le maître du monde ».
L’organisation d’une campagne était pour lui une œuvre d’art astreignante, comme le montrent les citations suivantes : « Au moment d’une guerre, il y a tant de choses à faire qu’il est de la sagesse de s’y prendre à l’avance quelques années … ». « J’ai l’habitude de penser trois ou quatre mois à l’avance à ce que je vais faire, et je calcule sur le pire … ». « A la guerre, rien ne s’obtient que par calcul … ». « Si je prends tant de précautions, c’est que mon habitude est de ne rien donner au hasard ». « C’est avec des plans sûrs et fortement conçus que l’on réussit à la guerre ».
Il dévoilait tous ces secrets à Roederer quand il lui disait : « Si je parais toujours prêt à répondre à tout, c’est qu’avant de rien entreprendre, j’ai longtemps médité, j’ai prévu ce qui pourrait arriver. Ce n’est pas un génie qui me révèle tout à coup ce que j’ai0à dire ou à faire dans une circonstance inattendue pour les autres, c’est la réflexion, c’est la méditation ».
Napoléon entra chaque fois en campagne avec un plan d’opération parfaitement mis au point, qui admettait des variations, chacune correspondant à une hypothèse qu’il s’était faite des mouvements probables et possibles de l’ennemi. Le plan était ce qu’il se proposait de faire ; les variations comprenaient les modifications qu’il pouvait avoir à y apporter. Dès que le plan était mis à exécution, l’exploration devenait sa préoccupation.
Les reconnaissances de cavalerie étaient d’emploi courant pour rechercher l’ennemi et recueillir des renseignements à son sujet. Mais Napoléon s’intéressait plus à son propre plan qu’à la situation de l’ennemi, qui normalement avait changé, le temps de recevoir les comptes rendus de la cavalerie. Aussi son système d’exploration, qui englobait des espions, des agents, des saisies de lettres dans les bureaux de poste, etc., avait pour but la confirmation ou l’élimination de ses hypothèses. Il envoyait par conséquent sa cavalerie, ses agents, etc., dans des directions déterminées pour éclaircir les points douteux, dont la connaissance était essentielle pour la confirmation ou l’élimination d’une hypothèse. Ainsi, en réduisant au minimum l’incertitude, en éliminant ou en confirmant ses hypothèses, non seulement il simplifiait son propre plan, mais en même temps il dévoilait celui de l’ennemi. La découverte des intentions de l’ennemi plus que celle de ses positions, tel était le but de l’exploration pour Napoléon.