La bataille de Montereau
Par
Jacques Bienvenu
I.
LA SITUATION DES ARMÉES IMPÉRIALES.
Depuis la Campagne de Russie, pour la
première fois, l'aigle baisse la tête, la France est envahie, la situation
semble désespérée. Napoléon
peut-il encore espérer la victoire? L'étau
des forces austro-prussiennes ne tardera pas à se resserrer sur Paris.
L'Empereur peut-il encore envisager de rejeter ses ennemis au-delà du
Rhin ?
Napoléon le pense, la plupart de ses Maréchaux
en doutent.
Au début de la campagne de France Napoléon
croit pouvoir reconstituer ses Armées; les Alliés, en entreprenant une
campagne d'hiver, ne lui en laissent pas le temps.
Les forces
d'invasion franchissent le Rhin en trois masses :
-
les Autrichiens de Schwarzenberg par Bâle.
-
les Prussiens de Blücher par Coblentz.
-
les Suédois et les Russes de Bernadotte par la Hollande.
Un corps autrichien menace Lyon tandis que
les Anglais, qui ont chassé Soult d'Espagne, franchissent les Pyrénées.
Aux trois armées qui menacent la capitale
et qui forment une masse de plus de 250.000 hommes suivis de réserves considérables,
Napoléon n'en peut guère opposer que 60.000 dont la plupart sont de jeunes
recrues.
L'Empereur, “ chaussant les bottes du général
d'Italie ” va longtemps suppléer à l'insuffisance de ses effectifs par des
manœuvres d'une rapidité et d'une audace extraordinaires.
Il
concentre ses faibles forces en Champagne.
Le 29 janvier, entre l'Aube et la Marne, il bat les Prussiens à Brienne,
le 1er février 1814, à la Rothière, il fait face à une attaque
combinée des Prussiens de Blücher et des Autrichiens de Schwarzenberg.
Il
semble perdu lorsqu'une faute stratégique de ses adversaires vient changer la
situation. Les Prussiens et les
Autrichiens se séparent pour marcher sur Paris, les premiers par la Marne, les
autres par la Seine.
L'Empereur
se porte successivement de, l'une à l'autre armée et leur inflige de nombreux
échecs. En quatre jours, du 10 au
13 février, il bat quatre fois Blücher, notamment à Champaubert et à
Montmirail, il lui prend ou met hors de combat 50.000 hommes et le rejette
au-delà de Châlons.
Il
revient alors contre Schwarzenberg arrivé près de Fontainebleau; vaincus à
leur tour à Montereau le 18 février, les Autrichiens reculent en désordre
jusqu'à Chaumont, tandis que, dans les régions envahies, les populations,
exaspérées par les violences des armées étrangères, commencent à se
soulever.
Au
regard de cette activité prodigieuse et inlassable de l'Empereur, quelle est
l'attitude des Maréchaux ? Tous ces grands chefs de l'armée sont comblés de
titres et de faveurs, mais presque tous sont las; ils ne peuvent pas jouir, la
plupart du temps, du repos et des splendeurs.
Aussitôt une guerre terminée, il faut en recommencer une autre,
rechausser les bottes et repartir au combat.
Jusqu'à
la fin de 1813, l'hostilité des Maréchaux à leur chef ne s'est point manifestée
ouvertement. En 1814, dès le début
de l'invasion, elle devient moins discrète.
Les lieutenants de l'Empereur conservent encore vis-à-vis de leur chef
l'attitude de profond respect, mais, entre eux et avec les généraux sous leurs
ordres, ils ne se contiennent plus.
Chez
tous, c'est une mauvaise humeur constante, une obéissance renfrognée, un état
d'indiscipline latent prêt à se manifester à la première occasion par des
actes.
La
situation de ces grands chefs est, il faut le reconnaître, peu enviable. Accoutumés depuis 1 0 ans à faire, la guerre avec les
moyens les plus puissants, ils sont contraints à se battre sans répit à la tête
de régiments fantômes. Les corps
de 25.000 à 30.000 hommes sont réduits à 6.000, 8.000 hommes...
On
comprend leur rancœur mais on ne saurait l'excuser quand on compare leur
mauvais vouloir à l'abnégation, au don de soi, à la fidélité au devoir des
officiers et des soldats du rang.
Certaines
des fautes commises ont eu les conséquences les plus néfastes.
Victor a montré, dans la défense de l'Alsace, une inertie scandaleuse.
Plus tard, le 18 février 1814, en ne poussant pas vigoureusement sa
marche sur Montereau, il fait échouer la manœuvre conçue par Napoléon et qui
eût permis de capturer l'avant-garde de l'armée de Bohême forte de 25.000
hommes.
Le
Maréchal Oudinot, le 27 février, demeure passif dans son Quartier Général de
Bar-sur-Aube et laisse écraser une de ses divisions.
Le
10 février 1814, en n'exécutant pas l'ordre de se porter de Meaux sur Château-Thierry,
le Maréchal Macdonald laisse échapper les débris des corps de Sacken et
d'York, battus à Montmirail par Napoléon.
Tout
en faisant preuve, dans les batailles d'une bravoure surhumaine, le Maréchal
Marmont, depuis la capitulation de Soissons trahit déjà secrètement. Certaines de ses négligences sont criminelles.
A Laon surtout, dans la nuit du 9 au 1 0 mars, il laisse surprendre les 1
1.000 hommes de son corps d'armée par les 40.000 hommes d'York et perd 3.900
hommes et 40 pièces de canon.
A
certains moments, l'Empereur en éprouve une sorte de désespoir.
C'est ainsi que dans la nuit du 18 au 19 février, quand il apprend que
la défaillance du Maréchal Victor à Montereau, a permis à l'avant-garde de
Schwarzenberg d'échapper, il est saisi d'une véritable fureur et, dans le château
de Surville où il a établi son Quartier Général, il s'écrie :
"On
ne m'obéit plus ! On ne me craint plus ! Il faudrait que je fusse partout à la
fois ! "
II.
LA BATAILLE DE MONTEREAU.
1) Les opérations du 5 au 13 février
1814
La situation de Napoléon semble désespérée
; les Prussiens de Blücher marchent sur Paris par la vallée de la Marne tandis
que les Autrichiens de Schwarzenberg avancent par la vallée de la Seine.
L'Empereur est vainqueur des Prussiens à Champaubert le 10 février.
Mais il faut contenir l'Armée autrichienne sur la ligne de la Seine;
pour cela le Général Allix défend Sens; le Maréchal Victor défend le
passage de Nogent, le Maréchal Oudinot le passage de Bray tandis que Pajol
installe son Quartier Général à Fossard et organise la défense de Montereau.
Mais
le 10 février, Allix doit abandonner Sens, ce qui découvre Bray et Montereau;
par suite d'une faute d'Oudinot le pont de Bray défendu seulement par deux
compagnies de Gardes Nationaux est pris par l'ennemi, ce qui amène Victor a
abandonner Nogent-sur-Seine.
A
partir du 10 février, le Maréchal Oudinot qui commet plusieurs fautes
tactiques se trouve dans une position difficile; il livre des combats à
Cutrelles et à Luisetaines le 13 février ; il est renforcé par les troupes de
Victor tandis que le Maréchal bavarois de Wrède établit son Quartier Général
à Donnemarie-en-Montois.
L'ordre
de la retraite est donné le 13 février; Oudinot se replie sur Nangis, il donne
l'ordre au Général Pajol d'évacuer Montereau et de se replier sur Nangis ou
Melun.
Le
13 février, à 9 heures 30, l'évacuation commence à la grande stupeur des
habitants qui essaient d'empêcher la rupture des ponts.
Mais bienti5t, deux formidables explosions retentissent, c'est la rupture
du pont d'Yonne, puis celle du pont de Seine, cette dernière est d'ailleurs
incomplète. Le 13 février au
soir, les feux de bivouac de l'ennemi brillent du côté de La Brosse-Montceaux
et c'est avec un sentiment de crainte que s'endorment les habitants de Montereau,
dans la nuit claire et étoilée, car depuis le début de la Campagne de France
la brutalité des Prussiens, des Bavarois et des Wurtembergeois est devenue légendaire.
2) Les opérations du 14 au 17 février
1814
Le
Général Pajol se replie sur Le Châtelet-en-Brie, puis au-delà de Melun à
Cramayel.
Le
14 février, la division autrichienne du Général Hardegg entre dans Montereau,
le pillage die la ville et des communes environnantes commence et on ne compte
pas les viols, les incendies et les destructions de toutes sortes.
Le
16 février, l'affolement se manifeste chez les Alliés qui apprennent la marche
de Napoléon sur Montereau, le 17 février l'Empereur ordonne l'offensive.
Les forces du Maréchal Victor avancent en direction de Montereau, mais
le 17 au soir, le Maréchal commet une lourde faute en établissant son quartier
général à Montigny-Lencoup, en 'arrêtant son infanterie à Salins, alors
qu'il lui aurait été sans doute possible de forcer le passage des ponts de
Montereau le soir même.
Le
même jour, Pajol qui a repris sa marche en avant, s'arrête au Châtelet-en-Brie.
3) La journée
du 18 février 1814
La
matinée :
Les
ordres de Napoléon
Napoléon
se trouve au château de Nangis ; le 18 à 3 heures du matin il reçoit le
courrier de Victor qui lui annonce que le Maréchal n'a pas quitté Montigny. L'Empereur est irrité.
Le Maréchal Berthier, prince de Wagram, expédie une lettre de Nangis à
3 heures 30 du matin. Il donne, au
Maréchal Victor, l'ordre de porter ses troupes sur Montereau, l'infanterie
stationnée à Salins devra se mettre en route vers 6 heures.
L'ennemi a évacué Donnemarie-en-Montois, Provins, il est en fuite et il
faut rétablir au plus vite les ponts de Montereau.
A
7 heures, le Maréchal Victor sera encore, au château de Montigny et il
demandera à l'Empereur l'autorisation de se retirer chez lui.
Il ne recevra qu'une réponse rageuse de Napoléon.
Napoléon croit que le gros des troupes ennemies s'est retiré sur Bray;
il pense rejoindre le Maréchal Macdonald tandis que Ney et le Grand Quartier Général
se rendront à Nangis.
Pendant
ce temps, Victor et Pajol devront anéantir les Wurtembergeois retranchés à
Montereau et rétablir les ponts de Seine et d'Yonne, tandis que Napoléon, la
Garde et Macdonald couperont en deux l'Armée de Bohême avant sa retraite sur
Troyes.
Napoléon
donne des ordres pour que le Maréchal Oudinot et le Maréchal Kellermann
arrivent à Provins.
A
7 heures du matin, la Garde Impériale, comprenant la cavalerie, l'artillerie et
l'infanterie du Général Friant, se met en route pour Villeneuve-les-Bordes où
Napoléon doit la rejoindre.
L'Empereur a
alors la certitude de pouvoir rejeter l'ennemi hors de nos frontières, il
quitte Nangis à 9 heures pour Villeneuve-les-Bordes, il fait un temps d'hiver
splendide, il gèle, l'air est vif et transparent, le ciel est d'un bleu pur.
Position
des Wurtembergeois à Montereau
Le
Prince Royal de Wurtemberg est logé chez M. Jauvet, premier adjoint au Maire de
Montereau; il a environ 18.000 hommes sous ses ordres.
L'aile
gauche de son armée s'appuie sur les Ormeaux, au milieu des jardins et des
vignes; le centre s'établit en avant de Surville, puis en deuxième ligne dans
le château et le parc; l'aile droite s'établit de Forges au hameau de
Gardeloup.
La
marche de Pajol
A
4 heures du matin, le Capitaine Biot, officier d'ordonnance de Pajol, va donner
l'heure de départ aux Généraux Coëtlosquet et Jacques Delort.
La brigade Delort marche en tête. Ce
sont 1.400 cavaliers et 4.550 fantassins avec 16 canons qui s . avancent en
direction de Valence-en-Brie.
Le
Général Pajol a la certitude que Victor occupe Montereau.
Il pense donc que le territoire est libre entre Montereau et Le Châtelet,
il marche sans éclaireurs et compte sur les chasseurs à cheval de Delort.
Le
bois de Valence est libre, mais à 8 heures, en sortant de la forêt, il reçoit
les premiers coups de canon wurtembourgeois.
Les gendarmes garnissent la lisière du bois, l'ennemi les accable
pendant que Pajol prend les dispositions de combat entre Plat-Buisson et Forges. Il faut tenir ferme, tel est l'ordre de l'Empereur.
Vers 1 1 heures, le Maréchal Victor attaque de Courbeton aux Ormeaux
tandis que le Corps du Général Gérard doit déboucher de Forges.
Libération
de Fontainebleau et de Moret
Les
troupes des Généraux Allix et Charpentier entrent à Fontainebleau, occupent
Moret, tandis que le Général autrichien Hardegg se retranche derrière le
canal du Loing. Il fait canonner
Moret des hauteurs de Saint-Lazare. Cette
situation empêche Allix de franchir le canal et de se jeter à Fossard sur le
flanc des Wurtembergeois.
Infructueuses
attaques du Maréchal Victor
Le
Général Châteaux, gendre du Maréchal Victor, quitte Saline à 6 heures du
matin. La fusillade s'engage près
des fossés de Forges, les combats sont acharnés, à deux reprises les Français
sont chassés du village de Forges; le Général Duhesme progresse vers la route
en direction de Courbeton. A 9
heures, une colonne de Duhesme arrive à Courbeton après avoir pris
Saint-Germain-Laval. Des combats
ont lieu dans le parc de Courbeton, les ennemis se retirent sur
Saint-jean-de-Courbeton.
Deux
premières attaques sur Saint-Jean et Les Ormeaux ne décident pas du succès.
Le
Général Châteaux parvient à la ferme de Saint-Martin tandis que Duhesme
attaque les Ormeaux. Le Général Châteaux arrive à se glisser dans le
faubourg Saint-Nicolas, mais une balle lui fracasse le bras droit à l'entrée
du pont. Il est transporté immédiatement
dans la boutique d'un épicier de la rue de Provins.
Après
cet accident, on note un flottement dans les rangs français et l'ennemi se
ressaisit. Vers Il heures, le
prince royal de Wurtemberg quitte son logement en ville et se porte à Surville
où, sous la protection d'une roche calcaire, il expédie les ordres
Halte
de Napoléon à Villeneuve-les-Bordes
A
son arrivée à Villeneuve-les-Bordes, la colère de l'Empereur éclate.
Il destitue le Général Guyot et le remplace par le Général Exelmans
à la tête de la grosse cavalerie de la Vieille Garde.
Il reçoit les nouvelles de Montereau, reproche à Victor sa halte prématurée
de la veille, sa lenteur coupable dans l'attaque; il destitue Victor et le
remplace à la tête du 2ème Corps par le Général Gérard.
Napoléon,
furieux de ne pas entendre le canon de son armée, part pour Montereau.
L'après-midi
: le Général Gérard remplace Victor
Il
arrive par Forges vers midi, il prend aussitôt la direction du combat. Il fait replier l'infanterie de Duhesme, mal engagée et
dirige 60 pièces d'artillerie contre les Wurtembergeois.
Pendant ce temps, dans Montereau, l'ennemi avance ses réserves.
Le
gros de l'infanterie française couronne les sommets des Ormeaux à Surville;
une vigoureuse action du Général Gérard assure aux Français une position
avantageuse à 2 heures de l'après-midi.
Le
Général Pajol s'empare des Ormeaux
L'attaque
de Gérard permet aux cavaliers de Delort de progresser; jusque là ils étaient
retenus vers le Dragon Bleu.
Ils
sont suivis par les Gardes Nationaux Bretons et les Gendarmes à pied d'Espagne.
Ils esquissent un mouvement tournant au sud des Ormeaux, mais cette. manœuvre
déclenche une vive réaction des Autrichiens.
Peu avant 14 heures, l'aile gauche de Pajol chasse les Wurtembergeois des
Courreaux et de la ferme de Plat-Buisson, puis elle se heurte au petit parc des
Ormeaux où se trouve une haie-vive bien défendue.
Pajol allait se précipiter en tête de la colonne pour l'enlever quand
M. Moreau, maire, de Montereau, lui enseigne deux sentiers latéraux permettant
de tourner cette position. Les
Ormeaux sont au pouvoir des troupes de Pajol et les Wurtembergeois coupés de
leur retraite. A ce moment, le
Prince Royal de Wurtemberg abandonne le champ de bataille et s'en va par la
route de Bray.
Pajol
mitraille les masses ennemies dans le faubourg Saint-Nicolas, l'encombrement est
extrême au pont de Seine.
Napoléon
sur le champ de bataille
Vers
15 heures, Napoléon arrive, la cavalerie de la Garde l'avait précédé. Dans toutes les unités s'élèvent les cris de “ Vive
l'Empereur ! ”.
L'épouvante
gagne rapidement les Autrichiens, certains prennent la fuite en criant “
Napoleone ! ”.
L'Empereur
fait ralentir la marche et forme quatre colonnes d'attaque dont l'objectif est
le plateau de Surville et Montereau
1) la colonne Pajol qui doit gagner du terrain avec la
cavalerie
2)
une colonne qui part des Ormeaux;
3)
une colonne en direction du château de Surville;
4)
une colonne sur le chemin de Salins et la vallée de la Seine (elle doit
attaquer l'aile droite du 4ème Corps Wurtembergeois).
La
Garde est tenue en réserve devant Laval, à la hauteur de Forges.
En
face se trouvent les Autrichiens, au centre (brigade Schaëffer), les bataillons
Wurtembergeois sont placés aux ailes.
Beaucoup
de fuyards cherchent déjà à passer les ponts, des hussards audacieux de la
brigade Subervic sabrent les fuyards jusqu'à la coupée du pont d'Yonne, mais
ils sont obligés de se retirer.
Un
officier supérieur et seize pontonniers autrichiens se rendent sur le pont
d'Yonne pour couper les bordages qu'ils avaient placés à leur arrivée
au-dessus de la rupture du pont, ils scient un plat-bord et tombent dans l'Yonne
comme une grappe humaine; d'ailleurs le passage de la masse des fuyards rend la
destruction des bordages impossible.
Le Général Gérard coupe et culbute les
Autrichiens de Zach et Colloredo défendant Surville, tandis que les chasseurs
de la Garde descendent en trombe, taillent en pièces, ou font prisonniers les
Autrichiens.
La
charge de Pajol
Il
n'est pas encore 4 heures. Le
Capitaine Biot, aide de camp de Pajol, aperçoit l'ennemi traversant Montereau
au pas de course pour opérer sa retraite sur Fossard.
Le Capitaine rend compte au Général Pajol.
Celui-ci, excellent Général de cavalerie, voit immédiatement le parti
qu'il peut tirer de cette retraite : prendre les ponts avant que les
Wurtembergeois, les ayant repassés, ne puissent se rallier et les détruire. Le Capitaine Biot transmet au Général Delort l'ordre de
charger, tête baissée, sur les ponts, Pajol suivra avec deux autres brigades,
celles des Généraux Coëtlosquet et Grouvel.
Beaucoup
de ces cavaliers sont inexpérimentés, ce sont des apprentis, de jeunes
conscrits ayant fait quinze jours à Versailles, ce qui fait dire au Général
Delort : “ je crois, en vérité, qu'on perd la tête, de me faire charger
avec de la cavalerie pareille ”.
Il
fallait une véritable audace pour lancer au galop dans une pente dangereuse une
telle avalanche humaine, cependant le Général Delort en tête de son premier
peloton fait des prodiges. Le Général
Pajol vient en tête des deux autres brigades, il porte le bras gauche en écharpe,
souffrant encore de la blessure qu'il a reçue à Wachau le 16 octobre 1813.
Toute la colonne
tourne à droite et s'engouffre avec une rapidité folle sur le pont de Seine,
c'est une masse terrible de cavaliers sabrant, de chevaux emballés, fous de
douleur sous l'étreinte de l'éperon.
Deux
cavaliers seulement sont mortellement blessés.
Delort a crevé les bataillons autrichiens et wurtembergeois, il franchit
le pont d'Yonne, la déroute est à son comble.
Pajol arrive sur le pont de Seine au moment où une mine éclate, les
Wurtembergeois ouvrent le feu sur la cavalerie, le cheval de Pajol est tué sous
lui et le Général contusionné.
Le
Général Grouvel se jette sur la route de Bray tandis que Pajol et Coëtlosquet
rejoignent Delort dans Montereau, c'est une charge héroïque qui s'arrête à
l'entrée de la chaussée des Arches.
Du
haut de Surville, Napoléon applaudit à cette brillante et victorieuse charge
qui lui conserve intacts les ponts de Montereau.
Il s'écrie : " Il n'y a plus que Pajol dans mes Généraux pour
savoir mener de la cavalerie ".
Déroute
des Alliés
Une
pièce de fort calibre installée sur le cavalier de Surville tire six coups
seulement sur le gros des ennemis ralliés dans la plaine de Saint-Maurice,
l'ennemi se trouve ensuite hors de portée.
Napoléon pointe lui-même une des pièces appartenant à deux batteries
d'artillerie légère de la Garde qui prennent en enfilade la route de Fossard,
les boulets ricochent sur le pavé et font d'assez gros ravages (15 à 20 hommes
sont tués). Les habitante de
Montereau aident à chasser les ennemis de la ville et ne font pas montre de la
moindre pitié.
Le
Maréchal Lefebvre charge dans la plaine de Saint-Maurice, mais il est battu en
front par une grêle de boulets. Cette
charge permet toutefois aux chasseurs à pied de la Garde de s'infiltrer.
La cavalerie française poursuit les Wurtembergeois jusqu'à La Tombe,
dans leur retraite les soldats wurtembergeois tuent, brûlent, pillent tout sur
leur passage.
Le
28 Corps de Gérard et la Garde Impériale traversent Montereau et poursuivent
l'ennemi jusqu'à Fossard. Dans
Montereau le désordre est à son comble et on note l'arrivée de traînards, de
maraudeurs qui suivent l'Armée.
La
nuit du 18 au 19
Napoléon
établit son quartier général au château de Surville.
Peu après 5 heures du matin, il expédie les ordres pour les mouvements
de l'Armée; il ordonne à Oudinot (entre Nogent et Provins), à Macdonald
(Bray), à Ney (Nangis), de passer les ponts à Montereau.
La
cavalerie de Pajol pousse en reconnaissance vers Ville-Saint-jacques, mais le Général
autrichien Hardegg, à la faveur de la nuit, réussit à battre en retraite 'Par
Dormelles, Voulx, Blennes, Pont-sur-Yonne et Sens.
Les
Wurtembergeois se rallient aux environs de Bray; les Bavarois à Bray et les
Russes, à Nogent, se retranchent derrière le fleuve.
Le
but de Napoléon n'est pas vraiment atteint; indécise, la bataille de Montereau
laisse l'orage se reformer sur la Seine.
4)
Après la bataille (19
et 20 février 1814)
Dans
la nuit du 18 au 19, Napoléon dort peu au château de Surville.
Dès 3 heures du matin, il dicte plusieurs lettres au Maréchal Berthier,
prince de Wagram. Peu après il expédie
les ordres pour les mouvements de l'armée, signalons au passage, que l'erreur
de Napoléon est peut-être de perdre deux jours pour faire passer tous ses
Corps à Montereau au lieu de suivre la Seine sur sa rive droite et de forcer le
passage à Bray et à Nogent.
Blâmes
aux Généraux
Il
adresse un blâme au Général Dijeon, toutefois il déchire la lettre de
reproches après avoir entendu le Général Sorbier.
Puis il a un tête-à-tête dramatique d'une, heure avec le Maréchal
Victor qui arrive à l'attendrir en évoquant les souvenirs d'Italie et le nom
de son gendre, le Général Châteaux. Le
Maréchal Victor obtient son pardon et reçoit le commandement de, deux
divisions de Jeunes Gardes stationnées à Fontainebleau.
Napoléon
à Montereau
Le
19 au matin, il passe une petite revue sur le marché au Blé.
L'Empereur manifeste son mécontentement à l'égard de la pusillanimité
des habitants de Montereau qui portèrent du vin, de l'eau de vie, du sucre, du
café, des couvertures aux soldats ennemis, avant même, dit-il, que ceux-ci en
demandassent.
L'adjoint
au maire, M. Jauvet, qui parle des pertes et des sévices subis par les
habitants de Montereau, s'entend dire par Napoléon : “ Comment oser vous
plaindre? Vous ne savez que lécher
les bottes de l'ennemi! Vous n'avez que ce que vous méritez ! ”.
Mouvement
des Troupes
Le
mouvement des troupes se poursuit toute la journée du 19.
Le Général Pajol, fatigué par ses blessures, demande à se retirer,
l'Empereur le fait Grand-Croix de la Légion d'Honneur et l'autorise à se
soigner pendant 15 jours à Paris. Ensuite
il reviendra à l'armée où Napoléon lui donnera un grand commandement.
Du
côté autrichien, le Général Schwarzenberg précipite sa retraite sur Troyes.
Les
récompenses
A
la suite de la bataille de Montereau, Napoléon attribue un grand nombre de
Croix de la Légion d'Honneur ; le Général Delort, qui s'est fait remarquer
par sa magnifique, charge, est promu “ divisionnaire ”.
Les
services de santé
Le
célèbre chirurgien Larrey, chirurgien en chef de la Garde Impériale, a la
responsabilité. de 370 blessés dont 30 blessés très graves; il procède à
un assez grand nombre d'amputations.
Le
Général Châteaux refuse de se laisser opérer (une amputation du bras était
nécessaire ; il meurt à Paris, des suites de sa blessure, le 18 mai 1814 à l'âge
de 35 ans.
Les
Autrichiens et les Wurtembergeois laissent sur le champ de bataille 4 drapeaux,
15 canons, 1.430 hommes, tués ou blessés, dont 56 officiers, et 3.415
prisonniers.
Le
bulletin
Le
bulletin est adressé à l'impératrice, il résume les événements du 18.
Napoléon
à Fossard
Le
20 février au matin, l'Empereur se rend à Fossard.
Il fait allumer un feu de bivouac et a un entretien avec le Général
Pajol qui revient à Montereau après avoir adressé ses adieux à ses troupes
stationnées à Varennes.
Napoléon
quitte Montereau
Le
dimanche 20 février, à 1 1 h. 30, Napoléon quitte la ville.
Toutes les troupes restant à Montereau s'éloignent en direction de
Sens, Bray et Donnemarie-en-Montois.
Pertes
des habitants
Les
pertes matérielles ont été sensibles par suite du stationnement des troupes
ennemies et françaises et de la bataille elle-même.
Les communes de La Brosse-Montceaux, Cannes.
Varennes, Forges, ont particulièrement souffert.
La ville de Montereau a surtout été éprouvée dans le faubourg
Saint-Nicolas.
III
. CONCLUSION.
Le
20 février 1814, Napoléon dit au Général Charpentier, en parlant de, ses
ennemis : “ Nous ne les verrons plus d'ici le Rhin
”.
Napoléon
peut-il réellement le penser ? L'irrésolution de certains de ses lieutenants
est grande, d'autres accumulent les fautes.
Allix permet à Moret la retraite des Autrichiens de Hardegg par
Villecerf et Voulx, Macdonald perd trois jours pour passer la Seine à Montereau. Sans doute Napoléon aurait peut-être pu détruire l'Armée
autrichienne sur Chaumont et Langres avec un peu de chance, de résolution et de
promptitude. Mais la chance échappe
au grand Capitaine.
Si
les soldats font leur devoir, il n'en est pas de même des Maréchaux et de
certains Généraux, Victor est las de la guerre, le vieil Augereau s'immobilise
à Lyon et Marmont trahira bientôt à Essonne.
Enfin,
Napoléon lui-même, pour continuer la guerre doit lutter contre ses ministres.
La France veut la paix. La
Nation, n'étant plus unanime dans la volonté de vaincre, abandonne ses chances
de victoire.